"N'essayez pas de tout mélanger !"
Force est de reconnaître que l'on ne sait pas grand chose sur Pierre Zucca,
disparu en 1995. Son cinéma est d'ailleurs peut-être là pour mieux
évoquer ce photographe de plateau* passé à la réalisation en 1968 à
partir d'un texte de Pierre Klossowski. Son premier long métrage, Vincent mit l'âne dans un pré (et s'en vint dans l'autre), reste aussi énigmatique que son titre. Une comédie à peine dramatique, dans la veine de celles d'Eric Rohmer qui appréciait beaucoup son cadet ou plus encore du jeune François Truffaut, mais habilement troussée.
Jeune enseignant d'art plastique dans une école, Vincent Vergne vit avec son père presque aveugle Pierre
dans un pavillon de banlieue. Celui-ci, copiste de statues, y possède
un atelier-boutique dont s'occupe son fils à ses temps libres. Le midi, Vincent retrouve son amie Bénédicte
qui travaille pour une revue et l'incite régulièrement à prendre un
appartement à Paris. D'abord réticent en raison de la forte dépendance
de son père, l'irascible jeune homme finit par se décider lorsque
celui-là reçoit la visite d'un vieil ami allemand. Vincent a
remarqué depuis quelques temps la fréquente présence nocturne d'une
femme distinguée autour de la maison familiale. Malgré les dénégations
de Pierre, il semble qu'il s'agisse de sa maîtresse, une commissaire-priseur nommée Jeanne Dodgson.
Pendant le premier tiers du métrage, si Vincent est rapidement identifié, on cherche vainement l'âne et le pré (habituelle expression consacrée aux chevaux mis à la retraite). En réalité, le scénario ne nous emmène nulle part. Ou, comme le suggère la lettre adressée à Bénédicte par Jeanne, il nous fait entrer dans un jeu, une fabulation dans lesquels il ne faut "penser ni à gagner ni à perdre". De beaucoup d'autres cinéastes, cet exercice de style serait inconvenant. Mais parce que Pierre Zucca
nous y entraîne avec intelligence, naturel et humour, nous lui en
savons même gré. Nous nous réjouissons également qu'il ait choisi, aux
côtés des expérimentés Michel Bouquet et Bernadette Lafont (la vedette de La Maman et la putain est accompagnée de ses deux filles), Virginie Thévenet, extraite de la salacité de Pascal Thomas, et Fabrice Luchini, qui se prénommait déjà Vincent pour son premier rôle avec Rohmer, dont l'interprétation dans le personnage principal du film était très sure et ri(vi)goureuse.
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*sur des films de Georges Franju, Jacques Rivette, Claude Chabrol qu'il mettra en scène l'année d'Une Affaire de femmes, François Truffaut pour lequel il apparaît dans Nuit américaine ou encore Louis Malle.
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