lundi 30 janvier 2006

Inside Deep Throat


"... Autant le faire sans parler."

Commençons par une précision en forme de confession : je n'ai jamais vu Deep Throat et n'en connais que les extraits diffusés par les médias grand public. Non pas que je sois un disciple des Charles Keating ou Larry Parrish, mais les raisons qui me poussent, a priori, à voir un film sont ses qualités artistiques, didactiques et/ou humoristiques. Et le film de Gerard Damiano, ainsi que les productions du même acabit, ne me semblent pas répondre à ces critères. Ce préambule étant fait, une question s'impose aussitôt. Pourquoi s'intéresser alors à un documentaire qui lui est consacré ? Tradition oblige, j'y répondrai par une autre question : pourquoi le très actif et respectable producteur de cinéma et de télévision Brian Grazer, trois fois nominé aux Academy Awards et honoré, à cinquante ans, par un "David O. Selznick Lifetime Achievement Award" de la Producers Guild of America, est-il à l'origine de ce projet ? Première élément de réponse, le collaborateur et ami de Ron Howard aurait entendu les propos de sa grand-mère 'sex'agénaire, intriguée par ce qu'en disait la rumeur, après une projection du film lors de sa première sortie en salles. Cette expérience lui aurait, plus tard, donné envie de tourner un biopic sur la fictive patiente du docteur Young, Linda Lovelace, à laquelle Meg Ryan aurait prêté son anatomie. Le projet en l'état n'ayant pas abouti, il s'est transformé en cet intéressant documentaire, présenté en première au Sundance Film Festival.
Car, en effet, les multiples péripéties qu'a connu ce phénomène, cet obélisque du film de genre, vieux de plus de trente ans, et par ses initiateurs, son contexte et, dans une certaine mesure, son influence sur la société américaine méritait bien cette contribution. Cela au moment même où les Etats-Unis connaissent, après R. Nixon et R. Reagan, l'Administration la plus réactionnaire de son histoire moderne. Réalisé allègrement mais avec sérieux* par un duo expérimenté dans le domaine du documentaire**, Inside Deep Throat, dont le titre (facile) décrit bien sa tonalité générale, revient d'abord sur la production, dérisoire, du premier "Porno Chic" comme le qualifiait un célèbre article du "NY Times". Tournée sans aucun talent cinématographique par un ancien coiffeur pour dames du Queens, cette absurde histoire de malformation gynécologique destinée à alimenter le marché alors confidentiel du film de Q est devenue la production la plus rentable de l'histoire récente du cinéma, ses recettes atteignant, en 2002, plus de vingt-quatre mille fois (24 000 !) son budget.
Le documentaire analyse parallèlement les raisons du développement du X, tant sociales, économiques que culturelles (poursuite de la révolution sexuelle initiée à la fin des années 1960, crise d'Hollywood...), ainsi que les tentatives des autorités publiques d'enrayer l'essor de cette "corruption des mœurs" symbolisée par le "porno". Un long chapitre traite des multiples procès dont Deep Throat a fait l'objet, à l'origine d'une partie substantielle de son succès commercial et de la première inculpation d'un "acteur" pour l'exercice de sa profession. Incidemment, pendant que le FBI investiguait, la pègre, attirée par les sommes brassées par la diffusion du film, organisait un vaste racket à l'encontre des distributeurs. L'ironie du sort a voulu qu'au moment où Harry Reems était condamné à cinq ans de prison, son plus haut procureur tombe pour l'affaire du Watergate grâce aux révélations d'un informateur anonyme baptisé par le journaliste Bob Woodward "Deep Throat".

NB : les dix noms qui figurent sous la rubrique "Acteurs" de la fiche-film sont, dans l'ordre, les premiers auxquels le documentaire donne la parole.
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*deux ans de tournage dont huit cents heures d'interviews avec plus d'une centaine d'interlocuteurs et un an de montage.
**les deux "B", Bailey et Barbato, ont notamment réalisé des documentaires sur Tammy Faye, une ancienne très populaire télévangéliste et sur l'énigmatique vie sexuelle du fuhrer du troisième reich.

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