"Sur quelle branche se posera-t-il ?"
Dire que la suite concoctée par Chang Cheh soit très différente de l'original, imaginé deux ans plus tôt par King Hu, est une tautologie. Tout, ou presque (on peut les qualifier, l'un comme l'autre, d'esthètes),
oppose, en effet, les deux cinéastes chinois. Le premier est fasciné
par la violence physique et la souffrance masochiste, le second a une
vision plus artistique et intellectuelle, certains diront cérébrale ou
désincarnée, du wu xia pian (film chevaleresque). Le premier
privilégie les combats virils, le second se délecte de mettre en scène
des héroïnes féminines. Alors pourquoi cette succession ? Parce qu'en
1968, Chang Cheh commence à faire parler de lui dans le milieu cinématographique. Il a réalisé, l'année précédente, le très estimé Dubei dao, déjà avec Jimmy Wang Yu. Runme Shaw lui propose de donner un prolongement au gros succès commercial qu'a été Da zui xia. Mais il est, d'ores et déjà, clair, pour le réalisateur de Hsia yu-yen, que la présence imposée de Chang Pei-pei ne sera qu'un prétexte et un faire-valoir. Le véritable héros du film sera un personnage masculin, interprété par son poulain Wang Yu.
Xie Yu-yan (l'Hirondelle d'or) vit, à présent, paisiblement dans une vallée, s'entraînant avec son compagnon, le chevalier Han Tao (Fouet d'or), qui lui a sauvé la vie. Ils reçoivent bientôt la visite d'un condisciple de ce dernier, Hu Zhen (Renard volant), qui mentionne, dans la conversation, le nom et les exploits de maître Xiao (Phénix d'argent), un combattant implacable, célèbre pour une inédite attaque plongeante. Xie Yu-yan croit reconnaître, à cette description, Petit phénix,
un camarade, presque un frère, avec lequel elle a étudié le kung fu.
Orphelin, celui-ci n'avait de cesse de perfectionner son art pour venger
sa famille, massacrée par un tyran. Il avait même réussit à percer le
secret de la redoutable technique appelée "justice du ciel" évoquée par Hu. Pendant ce temps, Xiao décime les infâmes clan du Dragon d'or et famille Sheng, en faisant passer ces meurtres pour l'œuvre de Xie Yu-yan. Quels desseins poursuit-il en exposant ainsi son ancienne amie ?
Est-ce par défi, provocation, affairisme ou pour une autre raison que Runme Shaw décida de confier la suite d'une œuvre aussi subtile que Da zui xia à Chang Cheh ? C'était, en tous cas, un drôle de pari. Les purs admirateurs du personnage et de Chang Pei-pei ont dû déchanter au spectacle de ce Hsia yu-yen, exubérant, excessif et sanguinolent. Le film est une authentique boucherie et son équarrisseur en chef est, sans conteste, Xiao, alias Wang Yu. Le personnage de Xie Yu-yan
devient, bien que central pour l'intrigue, totalement secondaire dans
l'action. Y a-t-il, alors, tromperie sur le "produit" ? Au sens strict
de son appellation (contrôlée !), sans aucun doute. Hsia yu-yen est-il un mauvais film pour autant ? Nullement si l'on accepte son outrance, habituelle chez Chang Cheh, et son côté caricatural, voire mécanique. Et si le personnage de Xiao avait été manchot, le film aurait pu s'intituler Dubei dao 2. Il annonce, d'ailleurs, de manière très nette, l'œuvre majeure du réalisateur, San duk bei do, sortie en 1971. On ne peut enlever à celui qui deviendra quasiment incontournable au sein de la Shaw Brothers
son inventivité et son sens du travail bien fait. Cela commence par un
pré-générique filmé au travers d'un pochoir, de découpages (dans un film dans lequel on entaille gravement, cela s'imposait presque !)
; cela se poursuit, entre autres, avec de nombreuses scènes de combat
captées en plongée ou avec une caméra prise de mouvements désordonnés,
comme si elle participait activement à la mêlée. Rythmé par une bande
musicale aux inspirations multiples (western, film noir ou d'espionnage, péplum...), Hsia yu-yen,
servi par un trio d'acteurs principaux de qualité et de solides seconds
rôles, dont certains ressemblent à des personnages de bande dessinée,
ne suscite, en aucune façon, l'indifférence.
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