"J'ai l'impression que quelque chose me rattrape."
Il semble que l'envie de mettre en scène une comédie musicale soit, chez Jacques Rivette,
assez ancienne. Certains affirment même qu'un tel projet existait au
milieu des années 1970 mais n'a jamais pu se réaliser. Le modèle de Haut bas fragile serait, d'après le metteur en scène, ces petits films de la Metro Goldwin Mayer des années 1950, tournés rapidement dans des décors déjà existants, en particulier le Give a Girl a Break de Stanley Donen. A l'origine, l'idée est née d'une conversation entre Rivette et deux actrices ayant travaillé avec lui, Nathalie Richard (La Bande des quatre) et Marianne Denicourt (La Belle noiseuse),
toutes deux ayant pratiqué la danse, moderne pour la première,
classique pour la seconde. Et voilà notre trio embarqué dans
l'élaboration d'un scénario chorégraphié, histoire croisée de deux
jeunes filles, l'un pauvre, l'autre riche. Le troisième personnage
féminin, interprété par Laurence Côte (également dans La Bande des quatre),
est apparu dans un second temps, ce qui explique, probablement, sa
moindre présence à l'écran et son relatif isolement par rapport à la
double intrigue principale.
Paris, été 1994. Le jour où son complice va trop loin et tue une de leurs victimes d'arnaque, Ninon
en a assez et le plaque. Elle devient livreuse en mobylette mais ne
peut s'empêcher de voler dans la caisse de la société de courses qui
l'emploie. Comme elle croit avoir été vue par Roland, un
décorateur qui occupe l'atelier voisin, elle lui rend visite. Ils se
plaisent, se revoient, fréquentent les mêmes endroits pour danser et
écouter Enzo Enzo ou Sarah, une chanteuse réaliste. Louise, la fille d'un riche financier genevois, débarque à Paris après cinq ans de coma. Elle apprend avoir hérité de la maison de sa tante Marthe et s'y rend, suivi par un mystérieux jeune homme. Pendant qu'elle s'y trouve, elle reçoit la visite de Roland. L'homme, qui était en relations d'affaires avec la défunte, semble connaître Louise alors que celle-ci ne l'a jamais rencontré auparavant. Ninon et Louise vont se croiser au "Backstage", un club tenu par Alfredo, un étrange individu. De son côté, Ida,
une jeune bibliothécaire aux Arts déco. effacée et solitaire, aimerait
retrouver ses vrais parents qui l'ont abandonnée lorsqu'elle était une
enfant. Lorsqu'elle entend une chanson dans l'appartement d'un voisin,
elle croit reconnaître un air familier qui pourrait la mettre sur la
piste de sa mère. Grâce à Roland, venu consulter un ouvrage à la bibliothèque, elle pourra peut-être réaliser son souhait.
Que contient donc ce paquet insolite confectionné par Rivette et portant la mention Haut bas fragile ? Une opérette, à la manière de celles de Resnais,
plus qu'une authentique comédie musicale. Une fantaisie, fondée sur les
rythmes biologiques de ses héroïnes, reprenant les thèmes chers au
réalisateur, entrelacs hasardeux, énigmes familiales, manipulations et
sociétés secrètes. Même si le film n'aurait rien perdu à densifier un
peu son développement, la tonalité est leste, animée et plaisante. Les
actrices principales sont parfaitement à l'aise dans cette aventure
qu'elles ont imaginée (c'était déjà le cas, chez Rivette, dans Céline & Julie vont en bateau),
donnant un côté enthousiaste et débridé plutôt sympathique. Mais, que
ces demoiselles me pardonnent, le personnage le plus intéressant, subtil
et drôle est masculin, celui de Roland (André Marcon) en passeur (ou relanceur) de cette histoire mystérieuse, insensée et positivement frivole. Une frivolité qui n'est pas étrangère à ces "Naufragés volontaires", chantés par Enzo Enzo et filmé en plan-séquence pendant le métrage.
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