"Ca, ce n'est pas écrit. Je l'ai ajouté."
Lorsque sort La Tragedia di un uomo ridicolo, dernière production authentiquement italienne de Bernardo Bertolucci, les Brigate Rosse,
marginalisées par le meurtre d'Aldo Moro* puis ses méthodes mafieuses,
ont quasiment disparu du paysage politique national. Avec ce film, le
cinéaste porte un regard à la fois nostalgique et désenchanté sur
l'évolution de son pays depuis la fin de la guerre, sur sa douloureuse
mutation sociale, sur les contradictions d'un mouvement politique, fondé
en Emilie-Romagne (la région de naissance de Bertolucci) largement implanté à son origine dans les usines avant de passer à l'action terroriste et, surtout, sur la morale bourgeoise. La Tragedia di un uomo ridicolo constitue également l'unique collaboration du réalisateur avec son voisin lombard Ugo Tognazzi,
né à Cremona distante de quelques dizaines de kilomètres de l'autre
côté du Pô, ainsi qu'avec le fameux directeur de la photographie romain Carlo Di Palma.
Le jour de son anniversaire qu'il a fêté avec ses collaborateurs, Primo Spaggiari ouvre le paquet contenant le cadeau envoyé par son fils Giovanni.
Ce patron et propriétaire d'une fromagerie industrielle de la région de
Parme découvre une casquette de capitaine de navire, une paire de
jumelles et un pistolet de détresse. Muni de sa panoplie, il monte sur
le toit du bâtiment pour observer autrement son environnement quotidien.
Il aperçoit bientôt la voiture de Giovanni, poursuivi par un
autre véhicule, verser dans le fossé qui borde la routé. Le jeune homme
tente de s'enfuir mais il est rapidement rattrapé et emmené par trois
hommes. Après l'enquête préliminaire de la police sur le lieu de
l'enlèvement, Barbara, l'épouse française de Spaggiari,
se lance dans un minutieux inventaire destiné à évaluer la somme
susceptible d'être mobilisée par la vente de l'usine pour le paiement
d'une probable rançon. Celle-ci, fixée à deux milliards, ne tarde pas à
être réclamée dans une courte lettre écrite par Giovanni déposée chez les Spaggiari le jour de la toute première visite de Laura, ouvrière à la fromagerie, chez les parents de son copain.
Malgré leurs évidentes différences narratives et formelles, il existe une certaine parenté entre Novecento et ce dixième long métrage de Bernardo Bertolucci. Primo Spaggiari n'est-il pas, en quelque sorte, le cynique rejeton embourgeoisé d'Olmo Dalco ? Ce qui frappe dans ce récit narré à la première personne, c'est l'absolue impuissance du personnage interprété par Ugo Tognazzi,
ancien combattant du fascisme ayant connu une réelle mais fragile
ascension sociale, confronté aux gauchistes et ambigus acteurs de la
génération suivante. Impuissance soulignée par son incapacité à donner
une cohérence à la résolution de la "tragédie" dont il essayait de tirer
(un véritablement collectif ?) profit. La Tragedia di un uomo ridicolo ne possède certes pas la verve féroce du Borghese piccolo piccolo réalisé par Mario Monicelli quatre ans auparavant. Aux côtés d'Anouk Aimée qu'il retrouvait pour la troisième et pénultième fois, de Laura Morante, de Victor Cavallo et de son fils et futur réalisateur Ricky, Ugo Tognazzi offre cependant une jolie composition qu'il lui valut notamment une "Palme d'or" en 1981.
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*président du Conseil jusqu'en 1976, chef de l'aile progressiste de
Democrazia cristiana et acteur du compromis historique avec le PCI
dirigé par Enrico Berlinguer, figure politique marquante qui fera
l'objet en 1984 d'un hommage sous la forme court métrage documentaire
auquel participera Bertolucci.
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