"Va pour renarde !"
Considéré par Kenji Mizoguchi comme l'une des premières œuvres significatives de sa carrière (débutée quatorze ans et plus de soixante films plus tôt !), Gion no shimai, sorti quatre mois après Naniwa erejî,
est aussi l'une des plus personnelles du cinéaste. Même si elle
s'inspire d'un roman paru en 1915 par l'écrivain et aventurier russe Aleksandr Kuprin, cette deuxième des vingt-trois collaborations avec le scénariste Yoshikata Yoda comporte en effet d'évidents éléments autobiographiques. Suzu, la sœur aînée de Mizoguchi
n'était-elle pas vendue à quatorze ans à une maison de geishas,
dramatique conséquence de la faillite de leur père
menuisier-charpentier, avant d'épouser un riche aristocrate ? Et le
jeune garçon n'entrait-il pas, alors âgé de quinze ans, comme apprenti
chez un fabricant de yukata (kimonos légers) ? Naniwa erejî et Gion no shimai devaient constituer les deux premiers volets d'une trilogie interrompue par la déroute financière de la Daiichi, la société de production indépendante fondée en 1934 avec son ami Masaichi Nagata.
Lassé par les répétitives plaintes de son épouse, Shinbei Furusawa,
marchand drapier ruiné, l'abandonne ainsi que le domicile de Kyoto
qu'il doit quitter et où se déroule la vente aux enchères de son
mobilier, pour se rendre chez les deux sœurs geishas du quartier réservé
de Gion. Si Umekichi accepte, par gratitude, de donner l'hospitalité à ce vieux client, sa cadette Omocha
se montre elle, arguments à l'appui, beaucoup plus réticente à
l'accueillir dans leur modeste appartement et à l'entretenir. La
conversation se poursuit en promenade au cours de laquelle Omocha rencontre sa collègue Umeryu. Celle-ci lui révèle le fort sentiment à son égard de Kimura Marubishi, jeune commis du riche commerçant de tissus Kudo. La jeune femme met cette information à profit afin d'obtenir de ce dernier un nouveau kimono destiné à Umekichi pour lui permettre de participer à une prochaine et importante parade.
Le bref mais remarquable portrait de ces deux sœurs, assez différentes pour en devenir presque antagonistes, dressé par Kenji Mizoguchi et Yoshikata Yoda possède une étonnante intensité. Tout en affinant et en personnalisant son style de mise en scène et de réalisation*, Mizoguchi
révèle, avec l'intelligence, l'élégance et la pudeur qui le
caractérisent, les âmes de ses personnages conviés à un singulier et
dramatique carrefour de sentiments. La force du propos, derrière cette (en)quête
réaliste et morale vouée au statut de la geisha et plus généralement de
la femme, apparaît dans ce dialectique et intrigant va et viens entre
sincérité et duplicité, obligation et révolte, amour et haine. Déjà
auteur de plusieurs gendai geki** au cours de sa période muette, Mizoguchi le rénove ici davantage par son inflexion sociale que par l'influence du cinéma occidental (notamment du "film d'amour") en vogue au Japon depuis les années 1920. Gion no shimai méritait bien de succéder au Tsuma yo bara no yo ni de Mikio Naruse au palmarès des Kinema Junpo.
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*le plan-séquence de la scène d'ouverture, véritable télescopage de l'espace et du temps, est souvent cité comme référence.
**histoires d'amour impossible entre prostitués et leur protecteur, série que Mizoguchi prolongera en particulier avec Yuki fujin ezu et Akasen chitai.
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