"Connais-tu l'histoire du chasseur et du chien ?"
Est-il
possible de produire deux films exceptionnels au cours de la même année
? Une telle question pourrait aujourd'hui paraître provocatrice. Elle
ne l'était pas il y a (déjà !) quarante ans, en particulier lorsqu'elle s'adressait à Hideo Gosha. Aussitôt après l'excellent Goyokin, le cinéaste s'attelait à adapter, et de quelle manière, le roman Hitokiri de Ryotaro Shiba, signant ainsi un autre des chefs-d'œuvre de sa carrière. Co-produit par Shintarô Katsu, il s'agit de l'unique film tourné par Gosha avec le fameux interprète vedette de la franchise Zatôichi. Celui-ci y a pour partenaires l'incomparable Tatsuya Nakadai (qu'il retrouvera à trois autres reprises, notamment pour une 21e et dernière aventure du masseur aveugle réalisée par Kenji Misumi ainsi que chez Masaki Kobayashi) et l'auteur Yukio Mishima, un peu plus d'un an avant son suicide par seppuku.
1862, dans le village de Tanizato (province de Tosa). Takechi Hampei, à la tête d'un petit groupe de samouraïs, a organisé l'assassinat de Toyo Yoshida. Il refuse toute participation active d'Izo Okada,
un ancien, misérable et inexpérimenté paysan qui l'a rejoint, et lui
offre seulement d'en être le témoin. Au cours de l'été, le clan Tosa a,
grâce à ce meurtre, pu rallier le clan des loyalistes et s'installer à
Kyoto. Izo est, entre temps, devenu un redoutable sabreur dont la réputation égale au moins celle de Shinbei Tanaka du clan Satsuma. Après avoir éliminé Honma d'Echigo, Izo se voit reprocher le nombre et la publicité de ses exécutions par Ryoma Sakamoto, lequel l'avertit de la probable disgrâce qu'il pourrait bientôt connaître auprès de son maître. Takechi
renonce d'ailleurs à l'envoyer à Ishibe avec les hommes chargés de
supprimer trois magistrats. Apprenant tardivement par un tiers leur
départ, Izo décide de les rejoindre et d'accomplir la mission qui lui avait été initialement confiée.
Hitokiri (i.e. "puni par le ciel"), dont l'action se situe quelques années après celle de Goyokin,
prend pour décor la période de l'ère Edo qui précède la restauration
Meiji*. La dimension historique est, on le sait, déterminante dans
l'œuvre de Ryotaro Shiba (dont Masahiro Shinoda a porté cinq ans auparavant le Ansatsu à l'écran). L'imbrication du drame individuel et de son époque ressort de manière très forte et pertinente dans le film d'Hideo Gosha.
L'échec du personnage principal sert ici de métaphore à celui de
l'autarcique et rigide pouvoir shogunal finissant, caractérisé par la
confusion presque absurde des alliances et intrigues qu'il suscitait.
L'un des ressorts tragiques fondamentaux du scénario repose en effet sur
la dérisoire aspiration d'élévation sociale d'Izo (comme d'ailleurs celle, politique, de Takechi). La profondeur du récit, la complexité psychologique et morale qu'apporte Shintarô Katsu à son personnage** auxquelles s'ajoutent évidemment la subtilité et l'inventivité de la mise en scène font de Hitokiri un des plus éclatants, sombres, singuliers, en un mot remarquables ken-jidai geki de la production cinématographique nippone.
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*marquée notamment par l'abolition du système féodal et la disparition officielle de la caste des samouraïs.
**associé à celui, déterminant, de la prostituée Onimo.
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