"Tu n'as jamais tort avec de bons arguments."
Boudé l'année dernière par le public français(1), le premier long métrage de Jason Reitman (le fils d'Ivan, producteur et réalisateur notamment de Ghost Busters) mérite pourtant que l'on s'y attarde. Cette comédie satirique, adaptée de l'ouvrage éponyme de Christopher Buckley paru en 1994, raille avec intelligence les industriels du tabac et le monde des affaires en général mais souligne aussi avec un réel mordant les manipulations auxquelles nous sommes soumis de la part des différents protagonistes des dossiers de salubrité publique. Présenté en première au festival de Toronto puis, en 2006, à Sundance et Deauville, Thank You for Smoking(2) est également un des rares films récents ayant permis à ses producteurs de multiplier par six leur mise initiale.
Opposé à quatre interlocuteurs au cours de l'émission télévisée de Joan Lunden, Nick Naylor, vice-président et porte-parole de l'Academy of Tobacco Studies, parvient à sortir indemne de cette situation délicate grâce à une de ses éternelles pirouettes sophistiques. Ce lobbyiste autodidacte de Washington financé par les grosses entreprises du secteur, en endossant sans état d'âme les mille deux cent victimes quotidiennes du tabac, se reconnaît volontiers comme le digne successeur d'Attila et de Gengis Khan. Pour enrayer la chute de la consommation de cigarettes, il soumet en réunion l'idée de convaincre, arguments financiers à la clé, les vedettes d'Hollywood de fumer à nouveau à l'écran. Peu convaincu, son patron BR le convie néanmoins à se rendre à l'invitation du Captain, autorité suprême et respectée du milieu cigarettier. Là, Naylor découvre que BR s'est approprié son projet dont il est désigné promoteur auprès de Jeff Megall, l'influent président de l'agence EGO de Los Angeles. Avant de partir pour la Californie avec son fils Joey, qui a convaincu sa mère divorcée de l'importance de ce voyage, Naylor accepte de rencontrer Heather Holloway, journaliste au "Washington Probe".
Le film prend un relief particulier lorsque l'on sait que Christopher Buckley, l'auteur du livre dont il est tiré, a été le rédacteur en chef des discours de George H. W. Bush, alors vice-président de Ronald Reagan. Dès l'énoncé du titre, nous comprenons clairement que Thank You for Smoking(3) n'a rien d'un Lord of War transposé à un autre pilier des MOD (Marchands Of Death, charmante équipe constituée par les représentants des lobbies de l'alcool, des armes et du tabac que sont Polly Bailey-Maria Bello, Bobby Jay Bliss-David Koechner et bien sûr un Nick Naylor interprété avec un talent unique par Aaron Eckhart), évidence confirmée par la scène d'ouverture. Paradoxalement, le film ne délivre pas de message, il n'y a d'ailleurs ni véritablement parti pris, ni classique séparation entre "bons" et "méchants".
Pro et anti-tabac, représentés par le folklorique sénateur du Vermont Ortolan Finistirre, hommes d'affaires, politiques, artistes ou journalistes d'investigation en prennent chacun pour leur grade, et sans filtre, dans ce réjouissant concerto pour menteurs et manipulateurs en ut majeur. Une morale émerge au milieu cette immoralité généralisée où le verbe a perdu son sens, la responsabilité d'un père pour son enfant puisque Thank You for Smoking place la relation entre Nick et Joey Naylor et le libre-arbitre au cœur du scénario. NB : la production d'une sequel, le héros bonimenteur de ce film étant l'un des personnages d'un ouvrage postérieur, "No Way to Treat a First Lady", pourrait constituer une option intéressante.
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1. 225 000 entrées en quatre semaines d'exploitation.
2. dont les droits ont d'abord été acquis par la Warner pour le compte de Mel Gibson qui désirait incarner Nick Naylor à l'écran.
3. nommé en 2007 aux Golden Globes dans les catégories "meilleure comédie" et "meilleur acteur dans une comédie", son scénario adapté était également retenu par la Writers Guild of America.
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