"... La seule façon de vaincre l'arbitre, qui est contre vous ou votre pays, est de gagner par K.O."
Lorsque son ami Jean-Pierre Rassam lui demande de réaliser un portrait filmé* d'un chef d'Etat pour une chaîne du service public, Barbet Schroeder ne possède véritablement à son actif de réalisateur que deux fictions dramatiques rythmées par la musique de Pink Floyd. L'associé d'Eric Rohmer et producteur de Jacques Rivette choisit spontanément de partir en Ouganda et d'y rencontrer Idi Amin. Une (drôle de) façon comme une autre de sortir de ce double trip
post-psychédélique. A cette époque, le général est à la tête de
l'ancien protectorat britannique depuis trois ans à la suite du coup
d'État organisé contre le contesté président Milton Obote. Sa présidence
vire bientôt à la dictature, entamant dès 1974 une répression
paranoïaque et meurtrière contre tous ceux qui pourraient être
susceptibles de menacer le pouvoir.
Le tournage de Général Idi Amin Dada...
intervient alors que le Royaume-Uni et Israël, principaux bailleurs de
fonds et d'armes, ont restreint leur aide à l'Ouganda. Pour éviter la
faillite économique, Idi Amin
est obligé de se tourner vers les pays arabes, notamment la Libye de
Mouammar Kadhafi. Cette situation nouvelle explique en grande partie la
virulente hostilité affichée par le "leader révolutionnaire",
dont le père s'était converti à l'islam, à l'égard d'Israël où il avait
pourtant suivi un entraînement parachutiste et qui lui apporta un
soutien décisif au moment de son putsch. Cette animosité, surtout
verbale, fondée à la fois sur une ignorance (feinte ?) et sur
la recherche d'une image attractive, se concrétise dans le documentaire
par une puérile et grotesque répétition d'une intervention militaire
dans le Golan. Elle donnera également naissance, en juin 1976, à son
invitation (hypothèse d'ailleurs évoquée dans un des entretiens du film) d'accueillir à Entebbe l'Airbus A300 français détourné par des terroristes du F.P.L.P. et de la Fraction armée rouge.
"Il
était une caricature du pouvoir, une chose à laquelle je suis
totalement allergique. C'est de cette allergie qu'est né le film." Un peu à la manière d'Alfred Jarry avec son Ubu, Barbet Schroeder laisse Idi Amin
se mettre en scène, justifiant ainsi le titre du documentaire. Figure
contrastée, celui-ci incarne, à sa manière, l'incursion dramatique du
romanesque dans le réel. Mis en confiance par l'équipe de journalistes,
il se montre tour à tour mythomane convaincu apôtre de la vérité,
charmeur, comique incohérent et excentrique, autosatisfait glorifié en
chansons, démagogue, autoritaire (voir le monologue de la fameuse séquence du Conseil des ministres), mégalomane (autoproclamé "Last King of Scotland")
prophétique et pathétique, autant de stigmates annonciateurs de sa
folie sanguinaire finale, déjà à l'œuvre mais à petite échelle, dans
l'introduction de cet Autoportrait.
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* de 52', la version cinéma ayant une durée de 86'.
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