"Jamais... jamais, jamais, jamais, jamais je ne t'abandonnerai."
Après avoir vu Grbavica, le choix du jury présidé par Charlotte Rampling de décerner, malgré une compétition relevée*, à ce premier long métrage un "Ours d'or" apparaît parfaitement légitime. D'abord parce qu'il récompense une cinéaste, Jasmila Zbanic, dotée d'un réel talent. Ensuite parce qu'il est le signe, avant la "Palme d'or" décernée l'année suivante à 4 luni, 3 saptamini si 2 zile,
de la renaissance du cinéma des Balkans, notamment celui des pays de
l'ex-Yougoslavie, quasiment moribond à la fin des années 1990.
Esma Halilovic, une femme bosniaque vivant dans le quartier de Grbavica à Sarajevo, élève seule sa fille Sara. Pour tenter de recueillir les deux cents euros nécessaires à la prochaine excursion scolaire de celle-ci, Esma réussit à se faire embaucher comme serveuse par Saran, le patron de la boîte "America Bar". Sara
est convaincue qu'elle pourra partir gratuitement, bénéficiant du
statut d'orpheline de père mort en héros, et qu'il suffit à sa mère, qui
ne la dément pas, d'obtenir le certificat l'attestant. Tandis que Sara est incitée à sécher les cours par son camarade Samir, orphelin de père lui aussi, avec lequel elle vient de se lier, Esma se rapproche de Pelda, un des deux hommes de main de Saran.
L'eau de la Miljacka a bien coulé sous les ponts de Sarajevo depuis le précédent "Ours d'or" attribué à un film yougoslave, Rani radovi de Zelimir Zilnik
en 1969. L'histoire de ce pays, désormais disloqué sur le flanc de
l'Europe, a également connu les pires outrages*** au cours de la
décennie 1990. La tragédie vécue notamment par la Bosnie-Herzégovine (elle même partagée)
alimente évidemment la mémoire collective et les scénarii. Elle
apparaît en filigrane à travers le drame personnel qui sous-tend et se
noue dans Grbavica (femme bossue),
quartier qui servit de camp de torture à l'armée serbo-monténégrine. On
apprécie d'emblée la simplicité figurative et la délicatesse avec
laquelle Jasmila Zbanic
développe son récit. En moins de dix minutes, la situation est
présentée ou suggérée et les principaux protagonistes, empruntés au
funeste triangle "victime, héros ou tortionnaire", identifiés. Et même
si la révélation finale ne surprend pas vraiment, la cadette de Jasmin Dizdar et de Danis Tanovic
conduit avec intelligence la progression de la relation troublée entre
la mère et sa fille, influencée par leur rencontre respective avec un
personnage masculin, par essence violent (selon la réalisatrice). Les prestations de Mirjana Karanovic, souvent vue aux côtés de Miki Manojlovic, et de la jeune Luna Mijovic au caractère affirmée participent bien sûr à l'indéniable intérêt du film.
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*à laquelle participaient Capote de Bennett Miller, A Prairie Home Companion, le dernier opus de Robert Altman, Requiem d'Hans-Christian Schmid, The Road to Guantanamo de Michael Winterbottom ou encore Snow Cake de Marc Evans.
**c'est à dire après les Otac na sluzbenom putu, où une mère interprétée par Mirjana Karanovic mentait à son fils, et Underground d'Emir Kusturica couronnés à Cannes.
***dont le siège, celui de Sarajevo, le plus long de l'histoire de la guerre moderne.
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