"Ich weiß etwas, was du nicht weißt..."
Le
concept de réalité virtuelle a, dès l'aube des temps, régulièrement
fasciné les penseurs et les artistes. Dans le septième livre de "La Politie",
Platon nous avait intrigué avec son "allégorie de la caverne".
Descartes s'était interrogé, avant de l'écarter, sur l'hypothèse de
témoignages illusoires de nos sens. Avant-guerre, l'art dramatique avait
déjà ce rôle pour Antonin Artaud ("Le Théâtre et son double"). Puis l'auteur Philip K. Dick en a fait l'un des thèmes majeurs de plusieurs de ses ouvrages(1) à une époque où l'informatique et le jeu vidéo n'occupaient pas encore la considérable (envahissante ?)
place qu'ils détiennent et accroissent depuis au moins trois décennies.
A l'amorce de ce prodigieux développement, aux enjeux alors incertains,
Rainer Werner Fassbinder décide d'adapter pour la télévision(2) le roman de science-fiction "Simulacron 3" signé en 1964 par l'ancien pilote de l'US Navy Daniel F. Galouye.
Une fable existentielle et politique, centrée autour d'un instrument de
pouvoir en devenir, comme les appréciait le cinéaste bavarois.
Après s'être livré à un petit jeu incongru auprès du secrétaire d'Etat von Weinlaub, venu s'informer de la finalisation du Simulacron 1, le surmené prof. Henri Vollmer, prix de violents maux de tête, s'isole en compagnie du chef de la sécurité Günther Lause
et lui avouer sa peur et lui confier un secret d'une importance
capitale. Le directeur de la division technique et créateur du principal
projet de l'institut se précipite ensuite vers la salle des ordinateurs
où il s'écroule soudain sans vie. Attendu la veille, son bras droit Fred Stiller rencontre le soir son patron Herbert Siskins, directeur de l'institut IKZ (recherche en cybernétique et futurologie) puis Lause. Au moment où celui-ci accepte de lui révéler les propos qualifiés d'aberrants de Vollmer, un bruit détourne brièvement l'attention de Stiller et son interlocuteur se volatilise mystérieusement.
Selon les premiers éléments d'enquête recueillis par les inspecteurs de police Lehner et Stuhlfauth, personne ne confirme la présence du disparu à la soirée donnée par Siskins. Favorablement recommandé par ce dernier pour prendre la tête du département technique, Stiller surprend une jeune femme dans le bureau de Vollmer. Il n'a pas reconnu Eva, la fille du défunt, occupée à réunir pour les emporter les affaires personnelles de son père. Elle non plus ne connaît pas Lause, sensé pourtant être son oncle. Après s'être entretenu avec Franz Hahn, l'expert en psychologie de l'institut, Stiller, sceptique sur le caractère accidentel de la mort de Vollmer, échappe de justesse à la chute d'une palette de parpaings.
"Ce qui n'est pas autorisé n'existe pas." Drame (vaguement) futuriste aux accents de polar, Welt am Draht s'affranchit assez nettement du récit original(3). Simulacron 1 (version primaire ou "réduction" narrative ?)
ne possède, a priori, en effet pas de vocation définie, option validée
par la tutelle du ministère des sciences. De même, l'action(4)
apparaît ici toujours mise au service de l'idée et de la "relation",
conférant à ce téléfilm en deux parties un caractère abstrait et
dramaturgique assez prononcé, appuyé par une bande-son singulière. Le
scénario ouvre, dans sa première moitié, de multiples pistes dont
certaines restent inexploitées(5) ou finissent en impasse(6). Univers parallèles, vérité/simulation (simulacres), intelligence et conscience humaines/artificielles (chère au mathématicien Alan Turing, l'un des promoteurs de l'informatique)
s'y percutent sans donner à cet ensemble fragmentaire une réelle
cohérence "balistique". Sans doute l'un des charmes subtils, avec son
côté désormais résolument kitsch, de Welt am Draht.
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1. "Time Out of Joint" (1959), "The Simulacra" (1964) et "The Three stigmata of Palmer Eldritch" (1965) notamment.
2. média "populaire" et "dominant".
3. dans lequel "Simulacron 3" était au départ un outil de prévision marketing.
4. traitée davantage à la manière d'un (long) épisode de The Twilight Zone que comme dans les remuants Tron et trilogie wachowskienne.
5. tel le "paradoxe d'Achille et de la tortue" de Zénon d'Elée, à ne
pas confondre avec le stoïcien Zénon de Citium, l'épicurien Zénon de
Sidon ou l'empereur byzantin homonyme.
6. par ex. la collusion souterraine entre recherche et industrie, arbitrée par un pouvoir politique manipulable.
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