samedi 11 septembre 2010

The Stranger (le criminel)


"... Not carried this... this awful thing around by yourself."

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L'échec commercial de ses deux premiers et pourtant très remarquables films contraint Orson Welles a reconsidérer profondément sa condition de réalisateur. Le cinéaste, dont la douance n'est sans doute plus à prouver, doit d'une certaine manière refonder sa "légitimité" à ce titre. Une "crédibilité" qu'une incontestable qualité artistique et la reconnaissance de la profession ("Academy Award" 1942 du meilleur scénario original sur trois nominations dans des catégories majeures) n'assurent pas seules. Si l'on excepte ses participations (non créditées pour trois d'entre elles) à Journey Into Fear et ses rôles d'acteurs dans Jane Eyre et Tomorrow Is Forever, Welles devient, pendant presque trois ans, l'un des plus talentueux réservistes du Septième art. L'occasion de repasser derrière la caméra lui est donnée par Sam Spiegel (avant que le natif d'Autriche-Hongrie ne collectionne les "Oscars"). Une commande. Mettre en scène le récit du Russe Victor Trivas(1) à partir d'un scénario co-signé anonymement par John Huston(2). The Stranger reste dans les annales comme le seul film réalisé par Welles rentable lors de sa sortie, le plus désavoué par son auteur(3) mais aussi le premier à avoir été sélectionné dans un festival européen (Mostra 1941).
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Evadé grâce à l'insistante résolution de Wilson, membre de la commission des crimes de guerre, un individu passe la douane d'un pays d'Amérique du Sud sous le nom de Stefan Poloski, originaire de Pologne. Il est aussitôt filé par une jeune femme, épouse d'un contact de Wilson. Le soir même, l'homme réclame et obtient l'endroit où se trouve Franz Kindler au photographe visité pour l'établissement d'un nouveau passeport. Arrivé dans la paisible localité d'Harper (Connecticut) à bord de l'autocar emprunté également par Wilson, l'étrange personnage confie sa valise au commerçant Potter avant de se rendre au lycée de la ville. Là, il assomme et laisse pour mort Wilson qui l'avait suivi puis se présente au domicile de Charles Rankin accueilli par la fiancée de celui-ci, Mary Longstreet. Impatient, il décide d'aller à la rencontre de son camarade. Mais Franz Kindler, dissimulé sous l'identité de Rankin, honorable enseignant et futur époux de Mary, fille d'un juge de la Cour suprême, ne souhaite pas être aperçu en sa compagnie. Il demande donc à Konrad Meineke de l'attendre dans le bois. Lorsque ce dernier, devenu fervent croyant, tente de pousser son compatriote à la confession et au repentir de ses crimes, Rankin l'étrangle et cache sommairement le cadavre sous des feuilles.
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La production de The Stranger, débutée en septembre 1945, s'achève deux mois plus tard, soit au moment précis où s'ouvre le procès de Nuremberg. La poursuite et la condamnation des criminels de guerre nazis constituaient alors un sujet particulièrement actuel et sensible. L'histoire originale(4) de Victor Trivas fictionnalise donc une telle investigation coalisée(5). Une nette rupture narrative apparaît cependant dans le scénario co-signé par Anthony Veiller (collaborateur - prête-nom ? - de John Huston et adaptateur de The Killers) à la suite du meurtre de Meineke. Le récit passe ainsi du polar, aux faux airs de film-noir, au drame psychologique vécu à la fois par Kindler-Rankin et sa nouvelle épouse. Au point qu'il faille recourir à quelques images de camps de concentration, les premières utilisées dans un film d'Après-guerre, tant pour choquer et faire réagir cette dernière que pour rappeler aux spectateurs le statut de l'homme recherché par Wilson, celui d'un criminel contre l'humanité(6). Dans cette seconde et longue partie, The Stranger s'apparente de la sorte à de précédentes et significatives productions, Gaslight (illustré musicalement par le même Bronislau Kaper, enfui de Pologne en 1933), Shadow of a Doubt ou encore Watch on the Rhine sans parvenir à tirer un véritable profit de son originalité. Adroite et intéressante, notamment grâce à la photographie de Russell Metty avec lequel il travaillera à nouveau sur Touch of Evil, la réalisation d'Orson Welles se montre néanmoins moins éblouissante que celle de ses précédents opus. Son interprétation, dans cette unique confrontation, semble en revanche prendre un peu le pas sur celle plus monolithique d'Edward G. Robinson(7), toujours solide et efficace dans ce type d'emploi, qui retrouvait sa partenaire de The Hatchet Man, Loretta Young assez convaincante dans sa recherche désespérée de cohérence dans le nouveau désordre de son existence. Parmi les seconds rôles, l'ex-Russe Konstantin Shayne (que l'on reverra dans 5 Fingers et Vertigo) et Billy House (Lord Mortimer dans le récent Bedlam aperçu également dans Touch of Evil et Imitation of Life) s'imposent aux autres, bien plus anodins.
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1. futur co-adaptateur de Where the Sidewalk Ends de Preminger.
2. autre formidable cinéaste... et rebelle excentrique !
3. "Il n'y a rien de moi dans The Stranger (...). Je l'ai tourné pour montrer à l'industrie que je pouvais tourner un film standard hollywoodien, dans les limites du temps et du budget, et être un aussi bon réalisateur que n'importe qui d'autre".
4. nommée dans cette catégorie aux 19e Academy Awards dont les membres lui ont préféré le drame romantique Perfect Strangers de Clemence Dane et d'Alexander Korda.
5. même si l'on sait depuis le milieu des années 1950 le faible rôle tenu dans ce domaine par les Nations Unis (et sa United Nations War Crimes Commission créée en 1943) et par les Etats-Unis (responsables, au nom de la Guerre froide, d'exfiltration de cadres et scientifiques de l'ancien adversaire). La chasse fut surtout menée à l'initiative d'individus, en particulier Beate Klarsfeld et son mari Serge.
6. le titre original, repris dans la plupart des pays où fut distribué le film, se montre d'ailleurs encore une fois plus ambigu, complexe et subtil (origine, appartenance, extérieur à une affaire et méconnu) que celui choisi pour l'exploitation en France.
7. imposé à Welles qui aurait souhaité avoir Agnes Moorehead comme antagoniste. Une idée astucieuse, susceptible d'ajouter à la rivalité objective une autre, subjective celle-là, au sein du triangle constitué par les personnages principaux.



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