samedi 22 mars 2008

Yoshiwara enjo (tokyo bordello)


"Tu dois renoncer à tout, c'est ton destin."

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Alors que la carrière du solaire Kurosawa déclinait progressivement en produisant quelques uns de ses plus beaux éclats, celle d'Hideo Gosha demeurait, avec un ou deux films par an, encore très active. A peine huit mois séparent en effet la sortie du gendai geki "yakuzien" Gokudô no onna-tachi de celle de Yoshiwara enjo. Avec cette pénultième production pour la Toei, inspirée par les œuvres graphiques de Shinichi Saito, le réalisateur revient au drame historique, genre dans lequel s'exprime le mieux la diversité de son talent. Titulaire d'un second rôle dans Kai et à peine rescapée d'un film de science-fiction, Yûko Natori était choisie pour y être l'interprète principale.
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Printemps 1907. Après avoir passé la visite médicale préalable et été enregistrée au bureau d'inspection, Hisano est conduite par le zegen Késaji dans la luxueuse maison de geishas du quartier réservé de Yoshiwara. Le grave revers de fortune subi par le père de la jeune femme, propriétaire d'un navire de marine marchande, a contraint celui-ci à la céder à cet établissement pour rembourser une partie de ses dettes. Là, Hisano est successivement présentée aux trois grandes geishas, Kokonoé, Yoshizato et Kobana, la première d'entre elles étant chargée d'instruire la nouvelle maiko. Devenue geiko sous le nom de Wakashio, Hisano se voit confier son premier client. Effrayée, elle tente de s'enfuir mais elle est rattrapée, ligotée et enfermée dans un débarras. Kokonoé l'en libère pour lui offrir une séance de formation particulière. Au cours de l'été suivant, Wakashio retrouve Yukichi, son tout premier amant, qui dans la fougue de leurs ébats, lui déclare à nouveau son amour et le désir d'en faire son épouse. Elle est ensuite introduite auprès d'un riche client, l'héritier Nobusuké Furushima, l'inconnu en uniforme qui avait essayé de l'aider lors de sa tentative de fuite.
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En découvrant, il y a deux ans, le mélodrame de Rob Marshall tiré du roman Memoirs of a Geisha d'Arthur Golden, je n'avais pu m'empêcher de penser au film d'Hideo Gosha, vu au moment de sa sortie en salles au Japon. Et notamment de constater une nouvelle fois la difficulté qu'éprouvent souvent les Occidentaux à traduire (sans parler de comprendre !) les subtilités de la civilisation nippone. Les différences, scénaristiques et artistiques, entre la co-production étasunienne et Yoshiwara enjo se révèrent par ailleurs assez nettes. Les éléments psychologiques et sociaux sont en particulier bien plus marqués dans ce dernier. Ce récit, narré sans longueur subjective sur une période de quatre ans, est incessamment parcouru par le thème de l'aliénation, une sorte de fascination quasi nihiliste du malheur servant de facteur commun à la plupart des personnages qui l'animent. Par celui du mensonge aussi, l'imaginaire constituant avec l'ivresse et l'apparat l'un des rares refuges pour échapper à une réalité misérable et souffrante. La maîtrise et l'inventivité retrouvées de Gosha apportent une vibration singulière au climat sombre et tragique du film. Le spectaculaire travail de production accompli permettait, avec justice, à Yoshinobu Nishioka de succéder à Takeo Kimura (Umi to dokuyaku) au palmarès des Mainichi Eiga Concours, Rino Katase recevant pour sa part un prix d'interprétation aux Japanese Academy Prize.

vendredi 21 mars 2008

Gokudô no onna-tachi (femmes de yakuzas)


"... Au milieu d'un été torride."

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Après Usugesho, adaptation d'un roman de Bo Nishimura sortie la même année que Kai, et Jittemai, Hideo Gosha réalise un yakuza eiga d'un type nouveau tiré de l'ouvrage, publié en août 1986, de récits véridiques recueillis par l'écrivaine Shôko Ieda auprès de femmes et compagnes de gangsters japonais. Avec ce film, le réalisateur de Shussho iwai renouvelle un genre un peu délaissé après avoir connu un franc succès au cours des années 1960-70**, notamment grâce aux productions de Masahiro Shinoda, de Seijun Suzuki ou encore à la trilogie de Sadao Nakajima.
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Epouse très active du chef de clan Awazu, incarcéré au bagne de Takamatsu pour meurtre, et responsable d'un club de femmes de yakuzas en prison se réunissant tous les trimestres, Tamaki est appelée en urgence au chevet du parrain de la Domoto. Le décès du premier président de la puissante organisation mafieuse d'Osaka ouvre une brève période de succession interrompue par la désignation testamentaire de Kakinuma. Koiso, l'un des candidats malheureux au poste, décide de faire scission en fondant une organisation concurrente baptisée Horyu à laquelle il tente, en vain, de rallier le clan Awazu. L'échec de cette manœuvre le pousse à engager Sugita, un petit chef de Nagoya, pour assassiner Kakinuma. Au cours d'un week-end à Guam, Makoto, la sœur cadette de Tamaki promise par celle-ci au fils du riche agent immobilier Tokutsu, retrouve Sugita qui l'avait récemment courtisée dans le bar où elle travaillait.
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Original mais sans réussir à captiver réellement, Gokudô no onna-tachi double une classique intrigue de pouvoir dans le milieu des gangsters avec une rivalité sororale fondée sur une incidente et passionnelle mésalliance. La "féminisation" (parfois concupiscente !) du cinéma d'Hideo Gosha atteint ici un sommet solennel, la plupart des personnages masculins relevant au mieux de la figuration, au pire de la caricature. Un scénario un peu décousu et l'absence de véritable intensité dramatique constituent les principales faiblesses de ce film au style visuel également moins soigné. Quoique uniforme, l'interprétation de Shima Iwashita reste efficace, surtout comparée à celle de sa partenaire Rino Katase. Bien accueilli par le public au moment de sa sortie, Gokudô no onna-tachi a suscité neuf suites entre 1987 et 1998, la plupart avec la jeune actrice, et un remake en 2005 réalisé par Hajime Hashimoto.
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*qui fait une apparition dans le film.
**un engouement incitant d'ailleurs la Toei et la Warner à s'associer pour co-produire en 1974, sous la direction de Sydney Pollack, The Yakuza avec Robert Mitchum et Ken Takakura.

Kai (la proie de l'homme)


"Plus rien ne m'étonne chez lui."

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Publié à compte d'auteur en 1971 avant d'être récompensé par le "Prix Daizan", "Kai" apparaît d'emblée comme l'ouvrage le plus personnel de Tomiko Miyao. Le personnage central de ce troisième drame familial adapté par Hideo Gosha possède en effet quelques manifestes points communs avec l'ancienne institutrice de Kochi, divorcée en 1963. La place et le rôle de la femme au sein de la cellule familiale et, plus largement, dans la société japonaise sont au cœur du scénario de Kai au titre plutôt énigmatique*. Le film est aussi le seul tourné par Gosha avec Yukiyo Toake, la partenaire de Shintarô Katsu dans le dernier volet de la saga Zatôichi et, deux ans auparavant, de Ken Ogata et Masako Natsume dans Gyoei no mure de Shinji Sômai.
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Koichi, au début de l'été 1914. De retour d'un voyage d'affaires, Iwago Tomita retrouve sa famille accompagné d'une petite fille crasseuse. Le zegen (découvreur et "placeur" de précoces talents féminins) a acheté Kiku pour dix yens, sur le port de Kobé, initialement destinée à être vendue comme matière première à l'industrie pharmaceutique chinoise. Kiku est confiée aux bons soins de son épouse Kiwa, mère deux jeunes garçons Ryu et Ken. Après l'acquisition auprès de sa mère misérable et malade de la jeune Toyo, appelée à rejoindre la maison de geishas tenue par Daisada, Iwago est encouragé par Kiwa à abandonner son activité. Douze ans ont passé au cours desquels la proximité entre Kiku et Kiwa d'une part, le frêle Ryu d'autre part s'est renforcée. Toyo est devenue la geisha la plus célèbre de Daisada sous le nom de Soméyu. Iwago décide de se lancer dans la production d'un spectacle de la chanteuse Tomokichi sans l'approbation préalable du parrain local Tanigawa.
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Jusqu'en 1945 et les effets de l'influence occidentale, le foyer nippon se caractérisait par la figure tutélaire du père qui y exerçait un pouvoir presque absolu. La mise en scène d'une femme tiraillée entre la traditionnelle docilité quasi instrumentale et une impérieuse volonté d'insoumission, sorte d'émancipation anticipée, constitue une des particularités du roman de Tomiko Miyao et de son adaptation cinématographique. Cette singularité est d'ailleurs étayée par les nombreux indices qui mettent en évidence l'authentique lien amoureux unissant le couple sur lequel repose le récit. Plus que l'intrigue mafieuse secondaire, c'est bien l'épineux et dense tissu de relations façonné sur presque un quart de siècle qui domine le film et suscite notre intérêt. Kai possède une véritable ampleur tragique, notamment grâce à l'interprétation de Yukiyo Toake (tête d'affiche du Hana ichimonme de Shunya Ito la même année), la fille de l'acteur Hisao Toake.
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trad. littér. : "aviron"