"Appelez ça une blague si vous voulez."
Créée en octobre 1913 dans une traduction allemande au Hofburg Theatre de Vienne puis, au mois d'avril suivant, au Her Majesty's Theatre londonien (avec Mrs Patrick Campbell et Sir Herbert Beerbohm Tree dans les rôles principaux), la pièce en cinq actes de George Bernard Shaw avait déjà été portée à l'écran à deux reprises(1) avant cette adaptation produite par le Transylvanien Gabriel Pascal(2). Sensiblement remanié par le dramaturge irlandais, Pygmalion constitue l'une des réalisations majeures pour le cinéma d'Anthony Asquith, ici associé à Leslie Howard désireux de passer derrière la caméra. Ce fut cependant l'interprétation de l'acteur britannique qui sera récompensée en 1938 par une Coppa Volpi à l'occasion de la cinquième édition de Mostra de Venise, le scénario se voyant distingué l'année suivante par un Oscar".
Par une soirée pluvieuse, des passants surpris par l'averse se sont réfugiés sous les colonnes de Covent Garden. Parmi eux, le professeur Henry Higgins, phonéticien réputé, étudie discrètement le jargon d'une jeune et pauvre vendeuse de fleurs ambulante. Il est bientôt pris à partie par quelques personnes de l'assemblée le prenant pour un policier. Higgins s'amuse alors à trouver, avec une surprenante réussite, l'origine géographique de ses interlocuteurs inconnus et ébahis. L'un de ces derniers n'est autre que le colonel George Pickering que le professeur souhaitait ardemment rencontrer. Avant l'emmener chez lui, Higgins prétend auprès de son nouvel ami être en mesure, grâce à sa science, de faire passer la malheureuse fleuriste nommée Eliza Doolittle pour une aristocrate. Vêtue de ses plus beaux habits, celle-ci se présente le lendemain au domicile du professeur, célibataire endurci, afin de recevoir, contre rémunération, des cours d'anglais académique. D'abord réticent, Higgins se laisse convaincre par Pickering, prêt à assurer le financement de cette expérience linguistique.
"Killing!" lance Freddy Eynsford-Hill à Eliza dont il vient de tomber amoureux. Cette expression imagée caractérise également bien cette formidable et intelligente comédie socio-dramatique. Différences d'origines, de classes et de sexes y sont illustrées et analysées avec une pertinente et féroce acuité par George Bernard Shaw. La contribution spécifique au film du provocateur et anticonformiste "Prix Nobel" de littérature 1925, précoce lecteur de Marx, est manifeste. Elle apparaît notamment dans l'ajout de la scène du bal à l'ambassade, l'écriture d'une fin plus "consensuelle" (celle de la pièce avait été abondamment critiquée) et le choix de Wendy Hiller, comédienne qu'il avait mise en scène en 1936 dans le rôle-titre de "Saint Joan" et qui débutait au cinéma. Pygmalion témoigne aussi, si besoin est, de la finesse et du talent d'adaptateur d'Anthony Asquith. L'intime connaissance des particularités et distinctions sociales dans son pays de ce fils d'ancien Chancelier de l'Echiquier et Premier ministre libéral du Royaume-Uni n'est pas étrangère à la qualité du film. S'il est difficile de mettre en évidence la nature de sa collaboration avec Leslie Howard(3), la performance du partenaire de Marion Davies (Five and Ten), Bette Davis (It's Love I'm After) et futur second rôle de Gone with the Wind est partiellement éclipsée par celle de Wendy Hiller que l'on reverra en particulier chez Richard Brooks, Delbert Mann, Fred Zinnemann et, bien sûr, David Lynch.
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1. une production allemande en 1935 dirigée par Erich Engel avec Jenny Jugo et Gustaf Gründgens et une néerlandaise en 1937 par Ludwig Berger avec Lily Bouwmeester et Johan De Meester.
2. promoteur, entre 1938 et 1952, d'une série de quatre adaptations de pièces de G.B. Shaw.
3. finalement préféré, comme acteur, à Charles Laughton, premier choix de l'auteur.
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