"... Une éternité à rien foutre sans une minute de repos."
Pendant que les premiers rouleaux de la Nouvelle vague déferlaient sur la France, Mario Monicelli présentait La Grande guerra à la Mostra de Venise et y recevait le "Lion d'or" (ex æquo avec Il Generale della Rovere de Roberto Rossellini). Spécialiste, comme Dino Risi, de la comédie populaire à l'italienne (sa série de Toto est unique), le réalisateur vient de remporter un joli succès avec I Soliti ignoti (ce
film et le suivant sont d'ailleurs sélectionnés dans la catégorie
"meilleur film étranger" des Academy Awards, respectivement battus par Mon oncle et Orfeu Negro).
Il signe ici une œuvre à la croisée de deux genres antinomiques, le
film de guerre et la satire intimiste, aux tonalités à la fois graves et
drôles. Un pari délicat, pas totalement concluant, qui souffre
notamment de la comparaison avec le remarquable et bien plus sérieux Paths of Glory (1957) de Kubrick, une autre charge contre les absurdes et dramatiques velléités bellicistes de l'homo réputé sapiens.
Depuis
le 23 mai 1915, l'Italie est en guerre contre l'Autriche-Hongrie. Au
printemps 1917, l'armée péninsulaire subit de graves revers sur l'Isonzo
et le Carso. Le milanais Giovanni Busacca essaie, en vain, d'éviter l'incorporation en soudoyant le militaire d'origine romaine Oreste Jacovacci.
Ils se retrouvent bientôt tous les deux sur le front vénitien. Lâches
par tempérament autant que par absence de raisons d'être courageux, ils
essaient, dès que l'occasion leur est fournie, d'échapper aux dangers
qui les menacent en permanence. Mais comme ils sont aussi maladroits que
malchanceux, ils se retrouvent le plus souvent en première ligne, à
exécuter des missions périlleuses. Sauf lorsque l'une d'entre elles leur
fait échapper au bombardement meurtrier de leur compagnie ou quand le
soldat Bordin, un père de famille nombreuse accepte, moyennant
finance, de les remplacer. Au début de l'hiver, les troupes italiennes
sont mises en échec par l'ennemi qui perce le front à Caporetto, les
obligeant à reculer sur la Piave.
Ce qui frappe instantanément lorsque l'on regarde La Grande guerra,
c'est l'étonnante faiblesse de son matériau narratif. Simple journal
des pérégrinations de ces deux pieds nickelés italiens à travers la zone
méridionale de cette insensée grande boucherie du début du XXe siècle,
le film manque un peu de vigueur et de rythme, d'autant qu'il dure plus
de deux heures. Mais la charme opère néanmoins insensiblement, davantage
dans l'émotion que dans l'humour d'ailleurs. La bêtise de la hiérarchie
militaire est soulignée dans le tragique épisode du jeune messager et
les deux personnages principaux remontent dans notre estime au moment de
leur rencontre fortuite avec la signora Bordin qui ne se sait pas encore veuve. L'art de Monicelli de la mise en situation apporte une valeur ajoutée indéniable par rapport à des films comme l'intéressant Up Front d'Alexander Hall ou l'honnête What Price Glory de John Ford. La Grande guerra réunit pour la première fois (sur six) le duo Gassman*-Sordi aux registres différents et complémentaires. Le premier, probablement plus à l'aise dans le cinéma de Risi,
ne donne qu'un aperçu de son vaste talent ; le second est, ici, plus
convaincant dans un personnage plus effacé mais aussi plus contrasté. La
participation de Mme Dino De Laurentiis, Silvana Mangano, n'est pas très importante, tant en durée qu'en qualité. Bernard Blier
fait deux courtes apparitions au début et dans la dernière partie du
film, le premier d'une longue série tournée en Italie. Tout ce beau
monde se retrouvera, l'année suivante, dans le Crimen de Mario Camerini. Notons, pour conclure, la jolie galerie de personnages secondaires, les références à la diva Francesca Bertini et à Bakounine (contrepoint au futur fasciste Mussolini, en partie responsable de l'entrée en guerre de l'Italie en 1915) et la partition de Nino Rota à l'identité assez peu marquée.
___
___
*dont le père était, rappelons-le, autrichien !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire