"Un crime céleste."
Nous
le subodorions, le cinéma japonais, malgré sa progressive popularité
sous nos longitudes*, recèle encore des trésors méconnus du public
occidental. Gojoe reisenki était, sans aucun doute, l'un d'entre eux. De son réalisateur non-conformiste Sogo Ishii, nous ne connaissions que Gyakufunsha kazoku et Yume no ginga,
deux drames assez différents qui se situaient dans le Japon
contemporain. C'est l'un des événements majeurs de la chaotique histoire
médiévale de ce pays qui, après avoir inspiré plusieurs récits
populaires (dont la célèbre pièce du théâtre jôturi puis kabuki, "Yoshitsune" en 1747),
sert de trame de fond à un scénario écrit dix ans avant la mise en
production de cet avant-dernier film** du cinéaste. Avec ses atmosphères
fantastiques ou surréalistes, Gojoe reisenki n'a rien d'un classique jidai geki. Mais c'est une œuvre puissante et spectaculaire qui n'est pas sans rappeler Versus de Ryuhei Kitamura sorti un peu avant lui à Tokyo. Les deux films ont d'ailleurs été présentés, à un an d'intervalle, au Festival de Toronto.
"A
une époque obscure du Moyen Age, les guerres entre les clans Heike et
Genji donnèrent la victoire aux premiers. Les vaincus, repliés à l'Est,
préparaient la reconquête pendant que les vainqueurs vivaient dans le
faste de Kyoto. Mais chaque nuit, des massacres de soldats Heike avaient
lieu dans la capitale. Les habitants redoutaient qu'ils ne fussent
l'œuvre du démon." Le bonze Musashibo Benkei est
poursuivi par ses condisciples du temple pour avoir emprunté le sabre
tueur de démons. Il est convaincu, par révélation de la divinité Acalanatha,
être chargé de tuer le démon qui, la nuit venue, décapite des hommes
par milliers aux abords du pont Gojoe. La nuit suivante, une armée Heike
y est anéantie par trois mystérieux individus masqués. Après un long
face à face immobile et silencieux entre Benkei et eux, ces derniers s'éloignent en empruntant le fameux pont.
Il existe deux versions de Gojoe reisenki, celle réservée au Japon et une version internationale, écourtée d'environ quarante minutes (sur un métrage initial de 137 minutes). A partir d'un matériau historique, Sogo Ishii
créé une pure fiction à vocation mythique, inflexion qui lui a,
d'ailleurs, été reprochée par certains de ses compatriotes. Précisons
d'emblée que Gojoe n'est pas, au sens strict du terme, un authentique "film d'action". Il ne comporte que trois longues (et grandes !)
scènes de combat, chorégraphiées par l'acteur d'opéra chinois
naturalisé japonais Zhang Chunxiang. En outre, le script est légèrement,
et probablement sciemment, hermétique. Cela n'enlève pourtant rien à la
force et à l'originalité de cette œuvre, bien au contraire. Tourné
dans des conditions techniques difficiles, le film alterne les
fulgurances apnéiques et les profondes respirations de spirituali(sme)té. Fresque apocalyptique sur la transition du pouvoir, sur l'antagonisme entre les forces primordiales, Oldeuboi
fusionne le surnaturel et le naturalisme des quatre éléments primitifs
dont le rôle est régulièrement souligné. La réalisation est efficace,
reposant sur des choix audacieux de focales, sur des mouvements de
caméra et des traveling parfois vertigineux et sur une remarquable
photographie. Sans oublier la beauté des décors et des costumes,
l'énergie impulsée par le montage et la "percussion" de la bande sonore.
Une réussite et, comme son "généthliaque" concurrent coréen Bichunmoo, une jolie découverte.
___*l'écart avec l'archipel nippon est, bien sûr, plus significatif sous cette coordonnée sphérique.
*quoique diffusé après, Electric Dragon,
doté du même casting et présenté en France en septembre 2004 dans le
cadre de "L'Étrange Festival", a été tourné juste avant.
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