"Victoire !"
Sorti chez nous un peu après Bom yeoreum gaeul gyeoul geurigo bom, bien que tourné, comme Nabbeun namja, un an avant, le huitième film de Kim Ki-duk prouve, si besoin est, le dynamisme et la diversité (la versatilité ?) qui caractérisent le réalisateur sud-coréen et son cinéma. Ce qui est certain, c'est qu'il vaut mieux ne pas avoir Bom yeoreum... trop en mémoire pour regarder et apprécier Hae anseon.
Car si la "patte" et l'imaginaire spécifique du cinéaste sont bien
présents dans les deux films, ceux-ci sont radicalement différents.
Caractéristique qui a dû, parmi d'autres, dérouter quelques uns des
spectateurs non avisés. Quelle part de la longue expérience (cinq ans, de vingt à vingt cinq ans) de Kim Ki-duk
au sein du corps des Marines de son pays est convoquée pour le film ?
Nous ne le savons pas. Mais nul doute qu'elle lui donne de la force et
de la crédibilité.
Depuis
la fin de la Guerre de Corée, l'armée sud-coréenne protège les trois
côtes du littoral sud de son territoire pour empêcher une éventuelle
invasion ennemie ou l'incursion d'espions. Une partie du rivage est
barbelée et des régiments de gardes-côtes surveillent et contrôlent
cette zone interdite. Leur rôle n'est pas pris très au sérieux par les
jeunes gens du village proche de la 2459e Compagnie et les soldats sont
souvent l'objet de sarcasmes, voire de mépris. Contrairement à cette
opinion et à l'attitude de la plupart de ses camarades, le caporal Kang Han-chul, appelé ironiquement 'Champion'
par son supérieur, est littéralement obsédé par la capture ou
l'élimination d'un improbable espion, source de récompense et de
permission exceptionnelle. Un jour, Mee-young, la sœur d'un restaurateur du village, devient l'enjeu d'un pari stupide lancé par celui-ci à Young-gil,
le petit-ami de la jeune femme. Il acceptera qu'elle devienne
officiellement sa fiancée s'il pénètre de nuit dans la zone interdite. Young-gil, ivre, suit sa compagne jusqu'à la plage et ils entrent ensemble dans la dite zone. Pendant que Young-gil fait l'amour à Mee-young, Kang
aperçoit avec ses jumelles de vision nocturne le jeune voyou. Convaincu
qu'il s'agit d'un espion, il vide son chargeur sur lui sans sommation
et le finit à la grenade. Profondément traumatisée, Mee-young sombre dans la folie. Kang, bien que félicité par sa hiérarchie, ne sort pas, non plus, totalement indemne de cette dramatique méprise.
Hae anseon,
une esthétique de la violence ? Il faut surtout ne pas faire ce facile
contresens. Malgré son réalisme, le film est, avant tout, une métaphore
nostalgique sur une déchirure, celle d'une nation artificiellement
séparée en deux pays en guerre permanente depuis plus de cinquante ans.
Une déchirure incarnée par le personnage de Kang qui, lui
aussi, a commis, au nom d'une logique absurde et d'un conditionnement
futile, presque puéril, l'irréparable. Depuis l'armistice du 27 juillet
1953 qui a mis fin au conflit coréen, seuls vingt espions ont été
capturés ou tués au sud (soit une fréquence de quatre-dixièmes par an !). La réalité de ce danger aurait-il quelques parentés avec la fable de Buzzati, Le Désert des Tartares ? N'étant pas "géopolitologue", difficile de répondre à cette question. Mais c'est probablement ce que dénonce Kim Ki-duk
dans son film. Il démontre que cette "clôture" géographique, pour
laquelle les hommes se livrent à des "jeux" virils et disciplinaires,
est susceptible de créer l'enfermement et le désordre psychologique. Et,
comble de la manœuvre, de donner naissance à un ennemi intérieur. Dans
un contexte pas si éloigné, on pense au personnage pathétique de "Gomer
Pyle" ("la Baleine" dans la version française) joué par Vincent D'Onofrio dans la première partie de Full Metal Jacket. Moins séduisant et intriguant que Gongdong gyeongbi guyeok JSA, Hae anseon,
dans lequel l'écologie et le thème de l'eau, chers au cinéaste, sont à
nouveau soulignés, est néanmoins une œuvre intéressante.
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