lundi 26 avril 2004

Le Déclin de l'empire américain


"Finalement, c'est un peu muet tout ça !"

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Quand le souvenir est si précis, c'est qu'il s'agit d'un moment important. Une séance de l'après-midi sur les Champs Elysées (à une époque où l'avenue restait, à peu près, fréquentable) avec un groupe d'amis. Divisé en deux groupes en sortant de la salle, les "pour" et les "contre". Et, contrairement au film, peu d'analyses ou de dissertations. Juste des "frais et piquant" et des "bavard et pas captivant". Je faisais partie du premier groupe. Je n'ai pas changé d'avis.
Cinquième long métrage de fiction de Denys Arcand, Le Déclin de l'empire américain s'inscrit dans la lignée d'un cinéma plus populaire entamée par le réalisateur avec Réjeanne Padovani. Le film reçoit un accueil très enthousiaste après sa projection au cours de la "Quinzaine des réalisateurs" du Festival de Cannes 1986 et se voit décerner le "Prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique" (Fipresci). Première production québécoise sélectionnée pour les Academy Awards l'année suivante(1), elle rencontre un succès public international. Peut-être un peu favorisé par le petit scandale créé par une affiche un peu provocatrice. Pourtant le film est plutôt pudique, au moins sur le plan visuel !
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Un déjeuner dominical se prépare dans l'une des résidences secondaires de la banlieue de Québec. Les quatre hommes préparent le repas, en attendant les quatre femmes qui prennent soin de leur corps dans un complexe sportif. Ils sont, presque tous, universitaires en histoire. Rémy (Rémy Girard) et Pierre (Pierre Curzi), divorcé, sont professeurs, Claude (Yves Jacques), homosexuel, est professeur d'histoire de l'art et Alain (Daniel Brière), célibataire, est un jeune chercheur. Dominique (Dominique Michel), célibataire, est un auteur brillant et responsable du département à l'université, Diane (Louise Portal), divorcée, est vacataire, Louise (Dorothée Berryman), l'épouse de Rémy, est une mère au foyer active et Danielle (Geneviève Rioux), la petite amie de Pierre, est étudiante. On disserte de-ci de-là sur les expériences sexuelles diverses et variées. Lorsque l'octuor est enfin réuni, la conversation devient plus académique, moins salace en apparence, à peine troublé par le bref passage de Mario, l'actuel amant, un peu "bestial", de Diane.
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Le Déclin de l'empire américain est un bon exemple de ce que je qualifie de "musique de chambre cinématographique". Cela n'a rien de péjoratif, au contraire. Comme pour ces petites formations à cordes ou à vents, il faut que la partition soit particulièrement bien écrite et les interprètes tous bons. On ne peut dissimuler aucune faiblesse derrière le spectaculaire de l'oeuvre ou le nombre d'acteurs des superproductions "symphoniques". L'idée développée dans le film est doctement annoncée dès les premières minutes : l'expansion du thème du bonheur individuel s'accompagne toujours de la baisse du rayonnement d'une nation. Le cinéma d'Arcand est donc bien toujours engagé. C'est en sociologue, voire en anthropologue, qu'il place ses caméras dans le champs de son observation. Bien entendu, la démarche scientifique est faussée dans la mesure où il a lui même écrit le scénario et les dialogues. Quoique ! Tout cela est très simple, très crédible pour ne pas dire désespérément classique. Ce qui ne l'est pas, c'est le traitement du film et la qualité de ces dialogues. Presque tourné comme un documentaire, parfois un peu contemplatif (superbes photographies de l'environnement du lac Memphrémagog, dans l'Estrie québécoise), la mise en scène repose, dans la première partie, sur l'incessant va-et-vient entre le groupe d'hommes et celui des femmes qui se répondent à distance, comme on pourrait aisément imaginer le faire pour un film animalier.
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On s'entretient de c.l, parce c'est plus simple et prétendument valorisant, mais c'est d'amour que l'on voudrait parler, ce qui traduit le désarroi, l'impuissance et la mesquinerie(2) des personnages. La réalisateur a eu l'intelligence d'intégrer à son script un "élément modérateur" en la personne de Mario, joué par son frère. Le contraste et l'opposition qu'il interfère créent une puissante relativité. Si on peut, naturellement, penser à My Dinner with Andre de Louis Malle ou The Big Chill de Lawrence Kasdan, voire à la Comédie érotique d'une nuit d'été de Woody Allen, ces comparaisons ne sont pas appropriées. Parce que les dialogues du Déclin de l'empire américain, bien servis par un casting efficace, sont bien plus essentiels que dans les films en question. Et que, sous la légèreté apparente, couve une probable tragédie. Aube ou crépuscule, le film d'Arcand est un des films importants des années 1980, et, n'ayant pas vraiment vieilli, important tout court.
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1. dans la catégorie "Meilleur film étranger" dans laquelle figurait également le français 37°2 le matin. Le trophée sera attribué au néerlandais L'Assaut de Fons Rademakers.
2. qui se manifeste à plusieurs reprises, en particulier quand Dominique se venge cruellement de Louise parce qu'elle s'oppose, en toutes innocences, à sa théorie.

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