vendredi 2 avril 2004

Hiroshima mon amour


"... Regarde comme je t'oublie... Regarde comme je t'ai oublié. Regarde moi."

Sans jeu de mot, lorsque sort, en juin 1959, le premier long métrage d'Alain Resnais, il fait, dans le milieu du cinéma, l'effet d'une bombe. Présenté au Festival de Cannes en 1959, mais hors compétition pour ne pas déplaire au gouvernement américain (la bombe atomique de 1945 reste encore, près de quinze ans plus tard, un sujet tabou), le film déclencha des réactions mitigées (l'écrivain Marcel Achard, président du jury à Cannes, ne l'avait, ouvertement, pas apprécié). Mais il annonçait bien un renouveau du langage cinématographique qui allait caractériser, mais pas seulement, la naissante "Nouvelle Vague".
Août 1957. Un couple, nouvellement formé, passe quelques heures ensemble à Hiroshima. Elle est une actrice française, venue tourner un film international sur la paix. Il est un architecte japonais, marié. Le souvenir des "dix mille degrés sur la place de la Paix... des dix mille soleils d'Hiroshima" hante encore les esprits, les corps et les lieux. Comme celui du premier amour, un soldat allemand, de la jeune femme, tué à Nevers au moment de la Libération, au moment où explosait la bombe H sur la ville japonaise. Son compagnon la questionne et l'écoute. Ils se séparent et se retrouvent. Elle doit retourner en France le lendemain matin.
"Tu n'as rien vu à Hiroshima". En quelques images et en quelques phrases, ciselées pas Duras, nous nous laissons pénétrer par l'atmosphère unique créée par Resnais. Ses thèmes de prédilection, ceux qu'il développera tout au long de sa carrière, sont déjà présents : l'amour et la mort. Mais plus qu'une histoire réaliste, naturaliste, il construit un récit, une fiction* dans laquelle la dialectique subjective est essentielle. Nous avons, alors, affaire à une métaphore philosophique et lyrique, presque fantastique (le n&b y contribue puissamment) traitée comme un documentaire**, ce qui la rend à la fois très abordable et très forte. Le parallélisme (par les flash-back, mais aussi le jeu des répétitions, ou rimes) entre l'histoire individuelle de la femme et celle, collective, de la nation japonaise, voire de l'humanité, est prodigieusement pertinente. Terrassée par la perte de sa dangereuse passion, folle, presque anéantie, elle tente, bien qu'absente, de renaître à l'espoir et à l'amour, grâce notamment à l'implacable travail de l'oubli. Peut-on aimer à Hiroshima ? La question est une réflexion sur la mémoire et l'oubli. Hiroshima mon amour nous rappelle en permanence cette antagonisme qui est l'essence même de la douloureuse nature humaine.

La mise en scène est, comme le jeu des comédiens (Emmanuelle Riva, actrice de théâtre, dans son premier "vrai" film de cinéma, Eiji Okada, vu chez Mikio Naruse et Tadashi Imai, remarquable) et la bande originale, apparemment simple, dépouillée. Elle est, en réalité, très inventive, fondée sur la narration plus que sur l'action. Nous entrons au cœur des âmes des deux personnages, en particulier celui de la femme, par de lents travellings et fondus enchaînés. Habiles plongées et contre-plongées donnent du relief aux images en saisissant la réelle "dimension" de l'homme dans son environnement. Le romancier et critique Jean de Baroncelli***, membre du jury à Cannes en 1959, notait : "le cinéma retrouve ici une liberté d'écriture qui fut celle du muet, celle de Griffith, d'Eisenstein, de Stroheim." Et on peut raisonnablement dire, à partir de ce point de vue, qu'Hiroshima mon amour marque une étape significative dans l'histoire du cinéma comme l'ont été avant lui Intolérance et Citizen Kane.
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*qui devait, initialement, être un pur documentaire réalisé avec Chris Marker, dans le prolongement de Nuit et brouillard.
**et les douloureuses images d'archives du début du film, mêlées aux corps intimement enlacés, ne font que renforcer cette étrange dualité.
***auteur, notamment, de l'ouvrage "Ecrits sur le cinéma".

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