mercredi 21 janvier 2004

Urga


"Une âme à deux kopeks !"


Pour décrire et analyser Urga, on pourrait se contenter de dire que c'est une beau film, un très beau film. Cette beauté simple et complexe à la fois qui traduit si bien l'âme humaine. Car le film de Nikita Mikhalkov enchante les yeux et réjouit l'âme. Venant après le remarquable Oci ciornie et délaissant les ambiances tchekhoviennes, Urga est une oeuvre primaire au sens laudatif du terme, comme on parle de couleur ou d'état (en psychologie) primaire. A cette époque, le plus slave des réalisateurs russes et le plus russe des réalisateurs slaves faisait de la politique spirituelle. Ses fonctions officielles et étatiques l'ont, maintenant, éloigné de la mise en scène.

Gombo est, comme il le dit lui-même, un "mongol qui réside en Chine". Eleveur, il vit, dans sa yourte de la steppe tatare, avec sa femme, qui vient de la ville, sa mère et ses trois jeunes enfants, un bonheur simple seulement entravé par les règles de natalité édictées par le gouvernement. Il vient en aide à un chauffeur russe, Sergei, qui, s'étant endormi au volant, a perdu le contrôle de son véhicule. Il le reçoit chez lui avec les honneurs et une solide amitié naît entre les deux hommes. Gombo accompagne Sergei à la ville pour y faire des achats (un en particulier... qu'il ne fera pas*) et en profite pour, encore une fois, sauver la mise de son camarade. De retour chez lui, il introduit dans son foyer la modernité d'un poste de télévision qu'il délaissera pour utiliser à nouveau son urga (longue perche en bois au bout de laquelle est fixé un lasso et qui sert, normalement, à attraper les animaux. Gombo en fait un usage singulier au début et à la fin du film, mais je ne trahirais pas le secret).
Mikhalkov développe, dans son film, des thèmes qui lui sont chers : la terre et le peuple. La terre, elle envahit, quasiment en permanence, l'écran, dans un hymne un peu contemplatif à la nature. Le peuple, c'est celui avec lequel Gombo possède cette étrange et solide fidélité, un peu malmenée par la faussement séductrice modernité ramenée de son voyage à la ville. Cet attachement qui le lie si tendrement à ses enfants, à son épouse, à sa mère, à ce cadavre mystérieux d'un oncle qui repose, sans sépulture, dans la steppe, à la figure mythique de Gengis Khan. Le chocs des cultures lors de la mise en présence des deux principaux personnages du film est, bien sûr, savoureuse et drôle.
Mais ce qui s'exprime ici, c'est tout simplement, comme le confirmera Sergei dans la scène du dancing, l'admiration qu'il porte à l'authenticité de son ami, à son existence si enviable. Alors, Urga serait-il un manifeste pour le retour à "l'état de nature" et contre la modernité** ? Probablement, mais c'est avant tout une allégorie poétique de la simplicité et de l'humanité***. La mise en scène, elle aussi, est d'une grande sobriété. Pas de plan sophistiqué, pas de recherche visuelle particulière, il est vrai que la beauté des lieux et des acteurs, mise en images avec un grand talent par Vilen Kalyuta, se suffisent à eux-mêmes.
Seul Vladimir Gostyukhin (et Larisa Kuznetsova qui joue son épouse, Marina, à l'écran mais que l'on voit très brièvement) est un acteur professionnel. Il est excellent dans le personnage un peu rude mais sensible de Sergei. Bayaertu et les membres de sa famille, enfants compris, sont prodigieux, probablement parce qu'ils n'ont pas un important travail de composition à fournir. Il y a, en effet, beaucoup de scènes qui ont un caractère de documentaire ethnologique que ne renieraient pas les spécialistes de la discipline. Enfin, la très belles partition de Eduard Artemyev complète l'enchantement déjà évoquée.
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*le film n'existerait pas s'il l'avait réalisé !
**surtout lorsqu'elle prend l'aspect d'un téléviseur qui diffuse des images de Rambo III ! Le réalisateur s'amuse d'ailleurs, à plusieurs reprises, avec l'image de Sylvester Stallone.
***symbolisée, par exemple, par ces images, pleines de sincérité, de cet enfant qui joue avec l'emballage plutôt qu'avec son contenu ou cette grand-mère qui fait éclater les bulles d'air emprisonnées dans le plastique d'une étui de protection.

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