mercredi 28 janvier 2004

Men in War (côte 465)


"Dieu nous protège ! Ce sont des types comme toi qui vont gagner cette fois."


Dans la carrière d'Anthony Mann, Men in War intervient au cœur de sa longue série de westerns entamée au début des années 1950. Le réalisateur n'avait pas, jusqu'à présent, pratiqué le film de guerre, (The Bamboo Blonde, en 1946, ne s'y réfère que comme cadre, c'est avant tout une comédie romantique et musicale) et il ne récidivera qu'une seule fois, en 1965, avec The Heroes of Telemark qui se situe en Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour un coup d'essai, c'est une jolie réussite qu'il ne faut néanmoins pas comparer aux classiques du genre mais davantage à des œuvres plus modernes.
L'essentiel de l'action se déroule au cours de la journée du 6 septembre 1950, en Corée. A cette date, la guerre entre les deux parties du pays ne dure que depuis un peu plus de deux mois. Le 30 juin, le Président Truman ordonne un déploiement de forces terrestres américaines stationnées au Japon. Malgré cette présence militaire, à laquelle se joint celles de quinze autres pays, placées ensemble sous le commandement du général Douglas MacArthur, les nord-coréens envahissent la presque totalité du sud, ne laissant qu'une bande d'un peu plus de 10 000 km carrés au sud-est de la péninsule. Ce n'est que le 15 septembre que la contre-attaque interviendra, avec une brillante et audacieuse opération de débarquement dans le dos des lignes ennemies imaginée et montée par MacArthur.
Au début du mois de septembre, le moral des troupes US est donc plutôt en berne. Un petit peloton de soldats, placé sous le commandement du lieutenant Benson et coupé de sa base, doit prendre position sur une hauteur désignée "Cote 465". Le camion, probablement après une attaque, est endommagé et irréparable. Il faut continuer à pied en portant le matériel. En route, le groupe croise une Jeep occupée par le sergent Montana qui conduit loin du front un colonel psychologiquement éprouvé après une violente attaque. Benson, après une rude opposition avec Montana, réquisitionne le véhicule et oblige ses deux passagers à les accompagner. Dans leur progression vers leur objectif, Benson et ses soldats devront affronter des ennemis embusqués, un pilonnage en règle par l'artillerie, les mines avant de livrer leur dernière bataille. Elle permettra aussi aux deux hommes que tout semble séparer, en conflit dans le conflit, de finalement combattre côte à côte.
Tiré du roman de Van Van Praag, "Day without End (Combat)", le film s'intéresse, comme le suggère son titre, principalement aux individus. La scène inaugurale est, de ce point de vue, édifiante. Chaque personnage réagit à sa manière au danger et à la tension environnante : l'un est pris de fièvre, un autre de démangeaisons, un troisième d'une fureur boulimique... Ce qui peut paraître caricatural est, en réalité, une puissante métaphore de l'inadéquation de l'homme à la guerre. Men in War est une sorte de fable tragique(1), au sens théâtral du terme, et parfois poétique (plusieurs séquences y contribuent, notamment celle dans laquelle le sous-sergent Killian cueille des fleurs pour décorer son casque) dans laquelle s'opposent l'humanisme rationnel (Benson) et l'instinctif pragmatique (Montana).
Le parti pris de filmer en noir et blanc, en décors naturels (probablement dans une quelconque campagne américaine) est, étrangement, un vecteur déterminant pour renforcer le caractère fantastique de ce récit. La simplicité des moyens mis en jeu en est un autre, qui souligne également l'importance exclusive des acteurs. La photographie, elle aussi, par ses nombreux gros plans, nous fait quasiment entrer dans l'intimité psychologique des personnages. Les séquences dans lesquelles alternent rapidement plan rapproché-plan large nous permettent de placer ces psychologies dans la perspective du groupe. Le score d'Elmer Bernstein, inspiré et sobre, contribue beaucoup à l'atmosphère particulière du film.
On est tenté de comparer Men in War aux autres film du genre. Il faut, bien évidemment, oublier ceux dits "à grand spectacle". On pense alors à A Walk in the Sun de Lewis Milestone, à Fixed Bayonets de Samuel Fuller ou, bien sûr, à certains de ceux de l'incontournable Raoul Walsh, en particulier Objective, Burma!. Mais la différence essentielle avec ceux-ci est, au risque de nous répéter, de focaliser sur les acteurs plus que sur l'action. Le film de Mann annonce, trente ans avant, Platoon et la seconde partie de Full Metal Jacket, ce qui souligne sa modernité(2).
Même si, compte tenu du caractère du film, l'ensemble de la distribution mériterait notre attention, le puissant duo de tête est primordial, réunissant Robert Ryan et Aldo Ray. Ils sont tous les deux, chacun à sa manière, à la hauteur de l'enjeu. Robert Ryan, en officier responsable de la vie de ses hommes, déterminé mais ne craignant pas d'avouer ses doutes est remarquable de vérité dans ce mélange délicat de force et de fragilité. C'est un homme, dans toute l'acception du terme. De son côté, Aldo Ray, en une sorte de mécanique guerrière, étonnamment efficace et, en même temps inquiétante, est, lui aussi, plus que convaincant. Il serait probablement un monstre s'il n'avait pas toujours raison et s'il ne vouait pas une touchante attention, presque filiale, à son colonel végétatif. Il développera d'ailleurs une composition assez proche dans The Naked and the Dead de Raoul Walsh l'année suivante. Mention spéciale à Phillip Pine, un habitué des seconds (voire troisièmes) rôles, dans son interprétation simple mais très juste, en contrepoint de celles de ses partenaires.
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1. de même que la prise de cette "Cote 465" est aussi abstraite/absurde que le châtiment de Sisyphe, la confrontation entre Benson et Montana a quelque chose à voir avec celle entre Agamemnon et Achille, c'est à dire entre la majesté lucide d'un côté, l'excès passionnel de l'autre. A défaut de réunir toutes ces "qualités" chez un seul homme, leur association fortuite se révèle la bonne équation dans les deux cas.
2. Men in War sort, à titre indicatif, un an après Attack d'Aldrich et la même année que The Bridge on the River Kwai de Lean ou qu'un certain... Paths of Glory de Kubrick.

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