dimanche 4 janvier 2004

Bob le flambeur


"Ici les leçons coûtent cher. Et les élèves n'en profitent jamais. C'est toujours le professeur qui se sucre."

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Lorsque l'on associe polar et Melville, on pense assez spontanément au Cercle rouge de 1970. On oublie souvent aujourd'hui que, quinze ans auparavant, "le plus américain des cinéastes français" avait tourné son premier policier (probablement le plus séduisant) : Bob le flambeur. Il y mettait déjà toute sa passion d'un "milieu" viril, de la nuit, des "bagnoles" et des errances urbaines. Sorti la même année que le film-noir Kiss Me Deadly et quatre ans avant A bout de souffle (dans lequel Melville joue un second rôle d'écrivain), ce film, on le sait, eut une influence certaine sur la future "Nouvelle vague" tant par sa conception que par sa réalisation. Avec lui, Melville s'impose en tous cas, aux côtés de Claude Sautet, comme un des rénovateurs du polar à la française.
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Histoire racontée (Melville est le narrateur) de Bob Montagné (Roger Duchesne), ancien truand et joueur invétéré. Dés et cartes la nuit, turf l'après-midi, sa vie solitaire se déroule entre les troquets et tripots du quartier de Montmartre. Il a une affection particulière pour le fils d'un ancien "associé", Paulo (Daniel Cauchy), dont il est en quelque sorte le tuteur et auquel il essaie d'écarter les pièges de cette existence facile. Il repère une jeune femme, Anne (Isabelle Corey), qu'il installe chez lui et entre les bras de son poulain. Rincé financièrement par les infidélités de "sa vieille maîtresse la chance" et instruit de la présence d'une très forte somme d'argent au Casino de Deauville la nuit qui précède le "Grand Prix", il décide de monter, avec son ami Roger (André Garet), le coup de sa vie, cette dernière affaire qui lui permettrait de se ranger définitivement des voitures. Mais pour épater sa nouvelle petite-amie dont il est raide amoureux, Paulo en parle à Anne qui le rapporte à un souteneur, Marc (Gérard Buhr), qui aimerait la faire travailler pour lui. Celui-ci, en délicatesse avec la police pour ses manières un peu brutales avec son "personnel", pourrait cafter l'information au commissaire Ledru (Guy Decomble) et compromettre toute l'opération.
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Ce que sait faire Jean-Pierre Melville, comme peu de metteurs en scène français, c'est de mettre délicieusement Paris en images, notamment la nuit ou aux premières heures. On sent un authentique amour du réalisateur pour la ville et certains quartiers de la capitale. Ensuite, il nous propose essentiellement, avec une évidente économie de moyens, en studios ou en décors naturels, un film de "caractères", au sens littéraire du terme, plus que d'actions. Le casse (si l'on peut l'appeler comme cela) ne dure que pendant les vingt dernières minutes. Il est précédé par une longue (un peu plus d'une demi-heure) introduction qui expose la personnalité des protagonistes, leur situation et leurs relations. L'idée du vol apparaît tardivement, sa préparation (avec répétition sur les lieux !) et le développement du drame qui va l'accompagner occupent la majorité du métrage. Ce qui intéresse Melville est davantage la tonalité que le détail, bien qu'il s'amuse parfois visuellement avec certains d'entre eux (la persistance des damiers dans le décor par ex.). Ce qui s'affirme, c'est une vision à la fois légère et allègre mais aussi défaitiste et indifférente de l'existence, l'omnipotence d'une certaine fatalité contre laquelle on ne peut rien. Les personnages "positifs" que sont le commissaire Ledru ou Yvonne (qui voudraient bien empêcher Bob de faire une bêtise parce qu'ils ont une "dette" à son égard), ne parviennent pas à contrebalancer ce pessimisme. Seule la chance elle-même, celle qui va se manifester un peu à contre-temps, aurait peut-être pu réussir là où ceux-ci ont échoué. Et reste susceptible de délivrer un espoir.
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Bob le flambeur est l'avant-dernier film de Roger Duchesne, cet ancien jeune premier qui avait débuté avec Duvivier et Guitry au milieu des années 30 et dont la carrière fut interrompue après la guerre pour collaboration avec l'occupant. Melville lui donna, avec ce film, une seconde chance qui resta sans suite. Duchesne parvient à donner beaucoup de véracité au personnage de Bob, grâce, en particulier, à un mélange paradoxal de force expressive et de nonchalance. Daniel Cauchy, qui avait déjà joué pour Melville dans Quand tu liras cette lettre en 1953 aux côtés de Juliette Gréco, donne, de manière crédible, corps à ce sympathique jeune homme, pris entre son admiration pour Bob et sa récente passion amoureuse, par lequel se noue le drame. Pour son premier film, la messine Isabelle Corey incarne, sans difficulté apparente, la belle indifférente et parfois à moitié dévêtue Anne. Les seconds rôles sont, comme le plus souvent chez Melville, très bons. Enfin, la bande-originale, intelligemment écrite par Eddie Barclay et Jo Boyer, participe pleinement au caractère singulier de ce film.

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