mardi 20 janvier 2004

Ce Jour-là


"Cà donne à réfléchir."


Saignant et savoureux. Ce jour-là est probablement le meilleur film de Raoul Ruiz depuis Trois vies & une seule mort. Peut-être même son meilleur film tout court. Ceux qui connaissent l'univers du réalisateur chilien savent qu'il est unique, le plus souvent onirique et surréaliste (ceux qui ne le connaissent pas... n'ont aucune excuse !). Son dernier film est un remarquable conte fantastique, sorte d'oratorio dodécaphonique, passionnant, drôle et touchant, comme le cinéma moderne n'en propose plus beaucoup depuis la disparition des grands maîtres latins. Mais, contrairement à certains d'entre eux, il ne permet pas au spectateur de rester au seul premier degré.
Impossible de sacrifier à la tradition du résumé pour ce film. Disons simplement que, dans une Suisse légèrement futuriste (mais les apparences sont trompeuses !), toujours affairiste et paisible, nous vivons "le plus beau jour" de la vie de Livia, du moins en est-elle persuadée, une riche héritière qui s'ignore, objet d'un sombre complot familial, et même national. Jeune femme fragile, éthérée et enfantine qui s'en remet à Dieu et à ses anges, même les plus fous d'entre eux. Emil (prononcez Eumil) Pointpoirot en est un, échappé de son asile, mû par une folie meurtrière seulement entravée par un diabète qu'il surveille assidûment.
Ce jour-là est un authentique "cadavre exquis", ce jeu cher aux surréalistes, cinématographique. Rien à voir, toutefois, avec l'œuvre de Francesco Rosi ou les exercices de style de Patricia Highsmith. Ruiz compose, en effet, un tableau parfaitement composite, dont toutes les pièces s'assemblent pour former un tout (presque) cohérent mais qui reste mystérieux. Fausse enquête policière (puisque les policiers ne font rien... méthode qui s'avère, néanmoins, bougrement efficace), mais vrai poème filmé au service duquel Ruiz a mit son réel talent de metteur en scène. Rares, en effet, sont les cinéastes qui savent composer une image comme lui : intelligence des plans et du cadrage, art du paradoxe visuel et utilisation savante du temps. Les dialogues sont surprenants et souvent drôles, de cet humour subtil et sans ostentation que l'on aimerait avoir en toutes occasions. On ne peut, en tout cas, rester insensible à ce conte, à ce rêve d'enfant un peu inquiétant dans lequel on joue un cache-cache homicide et l'on invente des mots et des situations. Le réalisateur en profite pour régler ses comptes avec le téléphone cellulaire et les adultes qui parlent fort à table en public.
On le sait, les comédies sont plus difficiles à jouer que les drames. A fortiori lorsqu'elles sont, un tant soit peu, ambitieuses. Bernard Giraudeau accomplit un remarquable travail de comédien dans le rôle difficile de Pointpoirot. Elsa Zylberstein, dans celui de Livia, apporte toute sa candeur et sa sensibilité féminine. Jean-Luc Bideau, Jean-François Balmer et Féodor Atkine constituent un trio particulièrement bien choisi et convaincant. Sans oublier l'immense Michel Piccoli, moins présent à l'écran mais, comme toujours, étonnamment efficace.

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