"... La deuxième porte de notre liberté."
Depuis son adolescence, "La Rue Cases-Nègres" ne quittait plus le chevet d'Euzhan Palcy. Déjà passionnée de cinéma, la native de Gros-Morne nourrissait alors bien sûr le souhait d'adapter à l'écran le troisième roman, en grande partie autobiographique, du Martiniquais Joseph Zobel paru en 1950. Conseillée et encouragée par François Truffaut, la jeune femme persiste et finit par faire aboutir son projet. Au-delà des qualités littéraires et humaines de l'ouvrage, c'est la situation et la mémoire des Antillais de cette époque que Palcy veut évoquer. Sans même repenser aux grèves ("contre la vie chère") qui ont marqué l'archipel au cours du premier trimestre 2009, Rue Cases-Nègres n'a, un quart de siècle plus tard, quasiment pas pris une ride. Et, a posteriori, justifie toujours pleinement les "Lion d'argent" et "César" de la meilleure première œuvre reçus lors de sa diffusion initiale.
Gouvernorat de Martinique, Rivière-Salée. Août 1930. A proximité de la plantation de cannes à sucre appartenant aux Békés se trouve la rue Cases-Nègres : deux rangées de cases de bois désertées le matin par les adultes partis récolter sous le contrôle des économes et commandeurs. Les enfants en profitent pour s'amuser et se chamailler gentiment. José Hassam est l'un d'entre eux. Orphelin de mère aujourd'hui âgé de onze ans, il vit aux côtés de sa grand-mère M'an Tine à la fois rigoureuse et aimante. Lorsque la petite embarcation venue de Fort de France accoste sur la rive du fleuve, le jeune garçon s'entretient brièvement avec son ami Carmen et lui corrige son cahier d'écriture. Le soir, Jo retrouve souvent le vieux Monsieur Médouze qui lui raconte les récits de leurs ancêtres esclaves africains et son désormais probable pèlerinage posthume. L'été s'achève bientôt, il faut préparer la rentrée scolaire. Une année décisive pour les élèves puisqu'ils tenteront d'obtenir leur certificat d'étude et, pour les candidats choisis par leur enseignant, de réussir le concours des bourses organisé au chef-lieu.
Près d'un demi-siècle après sa fin officielle, le colonialisme(1) et ses vestiges, comme un vieux rhumatisme, continue de faire souffrir la France. Parmi les multiples preuves, les difficultés rencontrées par Joseph Zobel puis par Euzhan Palcy pour l'édition et la production de ce récit(2). Leur stigmatisation respective du "phénomène" ne se montre pourtant jamais véhémente. Avec ce premier long métrage, Palcy nourrit davantage, et à double titre, une ambition didactique (comme Aparajito de Satyajit Ray avant lui). De ce point de vue, la cinéaste figure bien aux rangs avancés des disciples d'Aimé Césaire, Frantz Fanon ou Edouard Glissant. "Taxés" de progressisme et de créolisme (s'agirait-il de termes péjoratifs ?), les Rue Cases-Nègres dénoncent certes la substitution de l'exploitation et la dépendance économique à l'esclavage (aboli en avril 1848). Mais ils mettent aussi en avant des valeurs/vertus universelles (la tradition orale, l'émancipation par l'éducation, l'affirmation respectueuse de ses racines...). La maturité de Palcy dans la mise en scène n'a d'égale que l'insolent naturel de ses interprètes pour la plupart non professionnels à l'exception de Douta Seck, de Francisco Charles et surtout de Darling Légitimus (ancienne danseuse de la "Revue nègre" de l'afro-amérindienne Joséphine Baker - que l'on entend chanter dans une séquence du film -, vue ou aperçue notamment chez Guitry, Clouzot, Siodmak et Malle) récompensée à la 40e Mostra.
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1. qui dura, rappelons-le, deux cents ans et dont certains voudraient mettre en avant les aspects positifs.
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