"That's what we existentialists would call a doozy!"
Jason Smilovic serait-il le producteur des expériences éphémères ? Les quatre séries télévisées(1) promues par le scénariste du thriller policier Lucky Number Slevin de Paul McGuigan ont en effet toujours été interrompues de façon prématurée. My Own Worst Enemy n'a pas fait exception. Lancé en octobre 2008 sur NBC,
ce science-polar vit sa programmation annulée après neuf épisodes. Il
possédait pourtant, a priori, un réel potentiel narratif, au moins aussi
significatif qu'Alias par exemple (qui, rappelons-le, a "tenu" chez le concurrent ABC la distance de cent-cinq épisodes en cinq saisons !) dans lequel apparaissait à deux reprises un certain Christian Slater. Le double personnage confié ici à ce dernier aurait dû permettre à l'ancien jeune partenaire de Sean Connery dans Der Name der Rose
de prouver sa crédibilité à tenir à nouveau un rôle principal. Ce qu'il
n'avait pas vraiment fait de manière convaincante depuis... True Romance quinze ans plus tôt(2).
Au cours d'une mission à Paris, Edward Ross Albright abat Natasha, chargée de l'éliminer, sans obtenir d'elle l'endroit où trouver Uzi Kafelnikof. De retour à Los Angeles, Edward s'entretient brièvement avec Mavis Heller,
responsable du programme spécial d'investigation secrète dont il est le
principal acteur, sur l'échec de son opération avant de réendosser par
cérébro-cybernétique sa seconde personnalité. Celle d'Henry Spivey, paisible époux et père de deux enfants, conseiller en management au sein de la société Aj Sun pour laquelle il est sensé revenir d'une conférence à Akron (Ohio).
De puissantes impressions et images de son déplacement en France lui
reviennent à l'esprit, qu'il ne parvient pas à assimiler à celles d'un
rêve et évoque avec la psychologue, le dr Norah Skinner. La nuit suivante, le dysfonctionnement s'amplifie. C'est Edward qui se réveille aux côtés d'Angelica Spivey. Au lieu d'engager la procédure de désactivation, Mavis l'envoi à Moscou pour récupérer les pierres détenues par Kafelnikof. Au moment où celui-ci apparaît dans la lunette de son fusil automatique, Edward redevient Henry.
Repéré par son tir involontaire, il est bientôt capturé par les hommes
de son désormais principal ennemi avant d'être sauvé puis exfiltré de
Russie par Raymond alias Tom Grady, son ami et collègue d'entreprise. Conduit par Mavis dans l'appartement d'Edward, Henry
fait pour la première fois connaissance avec sa véritable identité. Sa
passion du base-ball pratiqué à haut niveau, le décès de ses parents, Victor et Katherine, dans un accident de voiture, son honorable passé militaire.
"I want my life to be real!"
Pathologie mentale rare, le dédoublement de personnalité peut en
revanche constituer un bon, voire formidable sujet de roman et/ou de
film. Dans le premier registre, le "Dr. Jekyll and Mr. Hyde" de Robert Louis Stevenson reste un des modèles du genre, souvent adapté au cinéma(3). Dans le second, Psycho, The Three Faces of Eve et l'excellent téléfilm Sybil (avec Sally Field dans le rôle-titre et Joanne Woodward qui tenait également celui du précédent) s'imposent incontestablement. My Own Worst Enemy s'inspire ouvertement de l'œuvre de Stevenson(4)
sur le mode techno-scientifique et de l'espionnage. La greffe opérée
fonctionne au début correctement. Mais les scénaristes de la série ne
parviennent toutefois pas à empêcher l'installation d'une certaine
routine et l'immixtion, ici et là, de quelques fragilités ou
contradictions narratives. Les enjeux généraux restent en particulier
très flous, l'intrigue se focalisant pour l'essentiel sur le
binôme-singleton, antagoniste et dépendant, Henry/Edward, l'entourage et le passé qu'ils partagent malgré eux. Si, dans ce personnage principal à double facette(5), Christian Slater "donne le change", son jeu demeure néanmoins dans l'ensemble plutôt stéréotypé, moins nuancé et percutant que celui d'un Christian Bale à
la typologie assez proche. Dommage cependant que l'acteur ainsi que la
production n'aient pas disposé de davantage de temps pour développer et
renouveler le concept initial.
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1. Karen Sisco (ABC - 10 épisodes), Kidnapped (NBC - 13) et Bionic Woman (NBC - 8).
2. un statut qu'il ne peut véritablement revendiquer, aux côtés de Brad Pitt et Tom Cruise, dans Interview with the Vampire: The Vampire Chronicles.
3. depuis 1908, notamment sous les directions de John S. Robertson, Rouben Mamoulian, Victor Fleming, Jean Renoir, Terence Fisher, Jerry Lewis et... Serge Gainsbourg en chanson.
4. Henry et Edward sont en effet les prénoms respectifs du dr Jekyll et de Mr. Hyde.
5. comme Janus, l'organisation au service de laquelle il s'est
placé, figure du passeur et de la paix dans la mythologie romaine où il
est représenté par deux visages opposés.
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