lundi 4 août 2003

Trois vies & une seule mort


"J'ai hâte de commencer une nouvelle vie, une de plus."

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Quatre contes fantastiques qui n'en sont qu'un. Des personnages qui se croisent dans des vies apparemment distinctes. C'est sous la forme de récits radiophoniques racontés par Pierre Bellemare que nous prenons connaissances de ces histoires extraordinaires et surréalistes : Mateo Strano invite, moyennant finance, un homme à écouter son récit et à s'occuper, à sa place, des fées qui l'importunent. Le professeur d'anthropologie négative à la Sorbonne Georges Vickers choisit d'être mendiant pour échapper à sa mère, puis à son épouse. Un mystérieux bienfaiteur aide Cécile et Martin et les confie entre les mains (et la cloche) d'un non moins étrange majordome. Le financier et marchand d'armes Luc Allamand doit recevoir une épouse, une demi-soeur et une fille qui n'existent pas. Tous ces personnages, très différents, sont joués par Marcello Mastroianni.
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Raoul Ruiz aime jouer à cache-cache. Il nous plonge ici dans un univers à la fois kafkaien et buzzatien où le baroque n'est jamais très loin. Bien que se déroulant à Paris, il existe également des accointances avec la moiteur étouffante du "Vieux qui lisait des romans d'amour" de Luis Sepulveda dont on aperçoit fugitivement la couverture dans une séquence. Raoul Ruiz mêle avec délice temps, amour, argent, adultère, peur et crime. L'absurde y possède, bien entendu, toute sa place. On peut ne pas être réceptif à cette effervescence (pas seulement celle du champagne) provocatrice qui semble non contrôlée. Mais si l'on fait l'effort de laisser se dérouler l'intrigue à son rythme, selon son mode particulier de traitement (prises de vues peu orthodoxes, mélange de lumières crues, saturées parfois avec des jeux de couleurs chamarrées, effets spéciaux une peu kitch), la magie opère et l'on est satisfait comme après la lecture d'un ouvrage de Borgès, la projection d'un film de Buñuel ou la contemplation d'une toile de Georges Braque ou Juan Gris. Bien sur, le film possède des faiblesses, comme cette scène pré-finale de fusillade, les multiples références à l'Union Européenne ou la présence de la Dombasle, mais elles ne gâchent pas vraiment le plaisir.
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Pour son avant-dernier film, Marcello Mastroianni accomplit un travail formidable. Omniprésent, léger et sombre, rationnel ou délirant, il porte littéralement le film sur ses épaules et sa mémoire du cinéma. Il est joliment accompagné par Marisa Paredes dans une interprétation toute de retenue joviale. Smaïn fait une apparition totalement décalée et l'on a la joie de pouvoir apercevoir Roland Topor plongé dans un univers proche du sien. Enfin, la partition musicale de Jorge Arriagada alterne merveilleusement légèreté et sonorités inquiétantes pour contribuer à densifier les ambiances du film.
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Sélectionné à Cannes en 1996 (qui a couronné Secrets et mensonges de Mike Leigh), Trois vies & une seule mort a remporté, la même année, le Prix de la critique du Festival International du film de Sao Polo. La dérision et le sens de la comédie (au sens noble du terme) seraient-il désormais l'apanage exclusif du Sud ?

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