dimanche 10 août 2003

The Piano (la leçon de piano)


"C'est une créature étrange, et son jeu est étrange, comme un climat qui vous traverse."

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En cette année 1993, pourtant riche en films de qualités (nous y reviendrons dans une annexe à la critique), "débarque" le troisième long-métrage d'une réalisatrice néo-zélandaise (autant dire, pour aller plus vite, le bout du monde) peu ou pas connue en France : The Piano de Jane Campion. Il déroute et réjouit à la fois par son originalité et sa qualité. Il surprend également par sa production, celle de la récente société Ciby 2000, nouvelle incursion de Francis Bouygues dans les media. Dix ans plus tard, il n'a rien perdu de sa fraîcheur et reste un film majeur en terme d'intelligence, de délicatesse et de beauté formelle.
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Jane Campion nous entraîne, en effet, au bout du monde, dans le pays maori. Elle nous conte l'histoire d'une jeune mère muette depuis l'âge de six ans, mariée par son père à un colon, propriétaire terrien. A ce stade du récit, la perplexité est forte de savoir comment l'auteur du scénario original va réussir à "nous tenir" deux heures assis à notre place. Mais d'emblée, on est impressionné par le talent cinématographique de la réalisatrice et de son chef-opérateur, Stuart Dryburgh. Puis, parce que la sensibilité féminine et sa force expressionniste nous font aimer cette Ada McGrath et sa fille, Flora. Nous partageons ses doutes, ses déceptions, ses colères et ses complicités. Femme qui est restée enfant, elle n'est que sentiments. Nous acceptons sa vie fantasmée (celle d'un premier mari foudroyé pendant un duo lyrique en pleine nature) parce que nous savons que cette illusion est son unique espace de liberté dans une vie qu'elle subit. Liberté qu'elle "acquiert" également grâce à son piano. Et ce n'est pas un hasard si elle est prête à tous les marchandages (peu conformes à l'exiguë morale victorienne) pour "réacquérir" celui-ci, vendu à un compatriote illettré. Mais le désir de celui-ci pour cette femme si "étrangère" va se transformer en amour et permettre à Ada de se retrouver (narcissiquement) autrement que par son instrument. Ce qui l'autorise à le sacrifier au moment de retrouver sa civilisation et de tenter de se remettre à parler.
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La réalisatrice donne couleur et rythme à son "mélodrame". La beauté des images, proches d'aquarellistes anglais (entre un Cozens et un Millais), la dureté des climats et des reliefs sont des toiles de fond lyriques à l'émotion "opératique" des personnages. Mais Jane Campion bouleverse les principes par des ruptures brutales dans les scènes ou des prises de vues verticales. Elle se joue également du spectateur en utilisant une voix-off de jeune fille, au début et à la fin du film, qui parle au nom de la muette Ada.
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Son talent est également dans le choix des interprètes. Qui aurait pensé confier un tel rôle à Holly Hunter, que l'on voit à peine chez les frères Coen (elle est d'ailleurs parfois invisible : voir - si je puis dire - Blood Simple) ou chez Spielberg. Elle est, ici, tout simplement impressionnante de force et de vulnérabilité, dans un rôle non oral, difficile pour un acteur. Elle est remarquable dans plusieurs scènes, notamment celles de la vente du piano ou de la mutilation.
Les femmes sont à l'honneur puisque les autres personnages les plus intéressants sont Flora jouée par Anna Paquin (oui, oui, la Rogue des X-Men!) qui avait moins de dix ans au moment du tournage et tante Morag par Kerry Walker. Malicieuse, rêveuse, troublante, Anna Paquin donne une dimension de douceur onirique au film. Kerry Walker en est l'éclatante symétrie, faite de conventions, de préjugés et de réalisme.
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Harvey Keitel et Sam Neill composent, eux aussi, une opposition, une dichotomie entre animal/spirituel/romantique/acteur et domestiqué/matériel/possessif/voyeur. Sans oublier les personnages maoris, qui ne sont pas là pour faire décoratif ou faussement authentique, mais contribuent (Jane Campion n'a pas oublié ses études d'anthropologie) à créer une intéressante et contrastée dialectique avec l'occident.
Enfin, que serait le film sans les formidables partitions de Michael Nyman ? Elles apportent un souffle d'allégresse et de mélancolie susceptible de transcender l'œuvre.

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