"... All soul is unique, soulesness has its own particularities."
Après avoir assisté, au festival de Chicago en octobre 2006, à la projection de son second court Happiness, mon impatience de voir le premier long métrage de Sophie Barthes ne cessait de croitre. Elle a été très largement récompensée par ce surprenant Cold Souls. La cinéaste née en France mais élevée en Amérique confirme posséder un imaginaire singulier qui façonne un univers filmique à la fois sensible, intelligent et original. Soutenue puis présentée à Sundance(1), cette comédie surnaturelle provoque en effet, sans artifice, aussi bien un égaiement incisif qu'une sincère émotion. L'excellent Paul Giamatti auquel est confié le rôle principal, au cœur d'un casting cosmopolite mais cohérent et solide, y fait preuve de ce talent unique qu'il développe souvent avec discrétion depuis déjà deux décennies.
Naturellement tourmenté, oppressé par son rôle dans les répétitions d'"Uncle Vanya" de Tchekhov, Paul Giamatti se rend, sur l'indication d'un article du "New Yorker" par son agent Max, au siège de l'entreprise Soul Storage situé à Roosevelt Island. Là, le dr Flintstein le convainc d'extraire son âme afin de retrouver, comme plusieurs précédents clients, un plus grand confort d'existence. Une fois les spontanées appréhensions surmontées, le comédien constate les immédiats bienfaits de l'opération. Mais rapidement, son épouse Claire et son metteur en scène Frank perçoivent chez lui un étrange changement de personnalité. Dans le même temps, la Russe Nina, agent de recrutement et d'exportation d'âmes locales aux Etats-Unis, expérimente à ce titre de successives greffes. Inquiet de son vide spirituel pour sa carrière et des conséquences sur son couple, Paul obtient bientôt la transplantation pour deux semaines de l'âme d'un poète russe.
Produit par le trio Paul S. Mezey-Andrij Parekh(2)-Jeremy Kipp Walker (précédemment associés dans Half Nelson), Cold Souls conforte assurément les lettres de noblesse du cinéma indépendant. Cette fable morale et sociale à l'origine onirique(3) s'inscrit, en le renouvelant, dans l'héritage fantasmagorique et absurde d'un Being John Malkovich de Spike Jonze. Lectrice de Beckett et d'Anouilh(4), fan de Woody Allen, initialement attirée par le documentaire, Sophie Barthes traite cette mercantilisation de l'âme (après celle des convictions, du corps et des organes) avec subtilité et élégance. Aucune maladresse ou faute de goût ne vient ternir ce récit surréel, drôle et profond, attestant de son étonnante maturité artistique. Aux côtés de la Russe Dina Korzun (Strana glukhikh, Last Resort), de David Strathairn et de la Britannique Emily Watson, Paul Giamatti confirme s'il était nécessaire qu'il reste bien l'un des meilleurs acteurs de sa génération. L'interprète de Miles dans Sideways et de Hertz dans Shoot 'Em Up mérite assurément au moins autant de louanges qu'un... Al Pacino évoqué(5) dans le film !
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1. candidat au "Grand prix du jury" de la fiction dramatique, avant d'être sélectionné au 35e festival du film américain de Deauville et à la 42e édition de Sitges.
2. le compagnon de la cinéaste et directeur de la photographie de ses trois films.
3. Barthes confie : "après la lecture de "L'Homme à la recherche de son âme" de Karl Jung et le visionnage de Sleeper d'Allen, j'ai rêvé que j'étais dans une clinique futuriste très proche de celle que l'on voit dans le film. Je portais une boite blanche et il y avait Woody Allen juste en face de moi qui avait aussi une boite. On attendait pour rencontrer un docteur qui nous disait que notre âme avait été extraite et qu'il allait regarder sa forme et analyser nos problèmes. Et quand W. Allen ouvre sa boîte il découvre que c'est un petit pois chiche. Il est furieux et dit qu'après quarante films il ne peut pas avoir une âme de pois chiche. Et dans le rêve je me dis que c'est pas possible... W. Allen est une de mes idoles, mon âme va être ridicule ! Je vais ouvrir ma boite mais le rêve s'arrête à ce moment là. Donc je n'ai pas vu mon âme.
5. comme Sean Penn, Johnny Depp et Robert De Niro.
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