lundi 13 novembre 2006

Peeping Tom (le voyeur)


"... Mais seulement du cinéma..."

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Présenté, à tort ou à raison, comme le Psycho britannique(1) (sorti un mois plus tard aux Etats-Unis), Peeping Tom a dérouté plus que de raison les amateurs de Michael Powell. Parmi ces derniers, Caroline Alice (C. A.) Lejeune, la critique de l'hebdomadaire anglais "The Observer"(2), auteur d'un article très virulent au moment de son lancement. Non seulement ce deuxième film sans Emeric Pressburger ne connut pas le même succès que le thriller d'Alfred Hitchcock(3) mais il lui coûta même la suite de sa carrière. Il est vrai que l'on ne voyait pas, a priori, le respectable réalisateur de The Red Shoes se lancer dans un sulfureux drame psycho-fantastique que n'aurait probablement pas renié Luis Buñuel. Avec le recul, on ne peut que constater l'étonnante prémonition du cinéaste sur le rôle croissant et pernicieux de l'image et son influence, six ans avant le Blowup d'Antonioni, sur plusieurs de ses jeunes homologues, dont Brian De Palma et Pedro Almodóvar ne sont pas les moindres représentants.
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Un individu, dissimulant une caméra sous son manteau, aborde une prostituée et la suit jusqu'à sa chambre. Alors que cette dernière, partiellement déshabillée, s'allonge sur le lit, une étrange lumière éclaire son visage d'abord marqué par de l'incompréhension puis par une frayeur panique. Rentré chez lui, le client de la péripatéticienne en question se projette le film de son meurtre avant de compléter, le lendemain, son "documentaire" en filmant l'enlèvement du corps de la victime. Le criminel, Mark Lewis, est un jeune metteur au point d'une compagnie de production cinématographique qui, en dehors de ses heures de travail, prend des photographies de jeunes femmes peu vêtues pour le compte d'un honorable marchand de journaux qui les revend sous le manteau. En rentrant chez lui après une de ces lucratives séances, Lewis croise Helen Stephens, une de ses locataires qui fête chez elle ses vingt et un ans. Prétextant du travail, il refuse son invitation à se joindre aux convives. La jeune femme se présente néanmoins à sa porte, peu de temps après, avec une part de gâteau d'anniversaire et initie avec lui une inattendue complicité.
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Quelle raison a bien pu pousser Michael Powell à s'intéresser à l'excentrique histoire de scoptophilie de son compatriote cryptologue Leo Marks(4) ? Une expérience infantile douloureuse ? Un goût jusque là maîtrisé de la provocation ? La récente renaissance du film d'horreur en Grande-Bretagne ? Plus simplement, son indéfectible cinéphilie, exercice "voyeuriste" par excellence, lui a-t-elle inspiré cette inquiétante mise en abyme ? Peeping Tom, à l'heure de la surenchère extrémiste gore, ne risque plus de choquer. Mais son propos, infiniment moins gratuit et artificiel que les productions actuelles, reste singulièrement dérangeant. D'abord parce que le film traite d'expériences sur un enfant, de pathologie obsessionnelle et de peur ultime dans un contexte où sont à nouveau réunis les pulsions primordiales, éros et thanatos.
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Ensuite, parce que le spectateur est régulièrement mis en situation de vivre l'action à travers les yeux de Mark Lewis. Enfin, en raison, bien sûr, du rôle trouble qu'y joue l'image et, en particulier, le cinéma. A ce titre, la scène la plus forte et symbolique est probablement celle où le voyeur funeste est opposé/associé à la mère aveugle de sa nouvelle amie. Aux audaces scénaristiques et visuelles, Powell ajoute celle de choisir, après Dirk Bogarde et Laurence Harvey, Karlheinz Böhm, interprète de l'amant puis de l'époux de Sissi dans la trilogie du même nom, pour le rôle principal, insensé mais efficace contre-emploi.
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1- comme semble l'attester le documentaire de 1997, A Very British Psycho, de Chris Rodley.
2- heurtée par la prétendue appartenance au même périodique annoncé par Mark Lewis au début du film ?
3- le réalisateur britannique, devenu citoyen étasunien, aurait décidé de sortir son film sans projection de presse en raison de l'accueil réservé par la critique à Peeping Tom.
4- est-ce parce qu'il apprécie tant Michael Powell et en tenant compte du rôle involontairement néfaste de Leo Marks sur la carrière du réalisateur que Scorsese a choisi le scénariste pour prêter sa voix au diable de The Last Temptation of Christ ?!

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