"Tout le monde meurt. mais je ne veux pas être tué !"
Produit entre Shichinin no samurai et Kumonosu jô, Ikimono no kiroku est longtemps resté une des œuvres les plus méconnues d'Akira Kurosawa, notamment en Occident. Il s'agit pourtant du premier des deux films(1) du cinéaste à avoir fait l'objet, en 1956, d'une sélection officielle, en compétition, au Festival de Cannes. Dix ans après Hiroshima et Nagasaki, onze avant "Kuroi Ame", l'ouvrage de Masuji Ibuse adapté au cinéma en 1989 par son compatriote Shohei Imamura, Si les oiseaux savaient constitue l'une des premières contributions (artistiques) humaines à poser une question cruciale : comment vivre sous la menace de l'arme atomique, devenue nucléaire en 1952 ? Kurosawa traite ce thème difficile avec une grande sensibilité sur un mode à la fois métaphorique et réaliste.
Le docteur Harada,
dentiste de profession, intervient également comme médiateur pour le
tribunal des affaires familiales. Il est appelé à connaître une affaire
opposant le vieil industriel de l'acier, Kiichi Nakajima, aux
membres de sa famille représentés pas son épouse agissant en tant que
plaignante. Celle-ci et trois de ses enfants veulent empêcher le chef de
famille de céder ses actifs pour aller s'installer dans une ferme de
São Paulo au Brésil après avoir dépensé, en vain, une fortune dans
l'édification d'un abri antiatomique dans le nord du pays. Faisant fi de
la décision de justice, Nakajima, qui est également le père de
cinq enfants adultérins, poursuit son projet et rencontre un émigré
japonais au Brésil intéressé par une transaction croisée. Mais après une
seconde réunion au tribunal au cours de laquelle les arguments des
parties sont entendus, le juge décide la mise sous tutelle des biens du
patriarche.
Il
est surprenant de constater que ce sujet, universel par essence, n'ait
jamais été traité de manière "sérieuse" en dehors du Japon. A
l'exception(2) du cas spécifique de la célèbre adaptation du roman de Marguerite Duras par Alain Resnais et du tardif Offret d'Andrei Tarkovsky, le cinéma international y a plutôt vu matière à comédies (l'excellent Dr. Strangelove de Kubrick par exemple) ou à productions catastrophiques (parfois à tous les sens du terme). Ikimono no kiroku
est tourné au début de la période de prolifération atomique, Etats-Unis
et Union soviétique ayant successivement effectué, en 1952 et 1953,
leur premier essai de bombe H. Etrangement, le film de Kurosawa
ressort au moment même où ce risque réapparaît avec une acuité
particulière. Toute la force du scénario consiste à nous interroger à
travers un drame familial qui peut sembler banal mais où s'opposent des
concepts généraux et fondamentaux, aveuglement et clairvoyance, folie et
normalité, égoïsme et intérêt collectif, autorité et contestation,
amour et héritage. Tout l'intérêt du film repose sur une mise en scène
formidablement maîtrisée, apportant une ampleur lyrique à la narration,
et sur la qualité de l'interprétation, notamment celle de Toshirô Mifune, méconnaissable mais totalement lui-même. Enfin, Ikimono no kiroku trouvera un écho ultérieur dans le pénultième film du réalisateur, Hachigatsu no kyoshikyoku.
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1- le second, Kagemusha partagera, en 1990, la "Palme d'or" avec le All That Jazz de Bob Fosse décernée par le jury présidé par Kirk Douglas.
2- Signalons que le film de Kurosawa sort la même année que Kiss Me Deadly dans lequel le risque atomique est un des ressorts dramatiques.
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