"Pour moi, c'est comme si j'étais une espèce de chose."
Le soutien critique apporté au peu rentable Ai to kibo no machi incite la Shochiku à donner à Nagisa Oshima les moyens de produire un deuxième long métrage. Beaucoup plus personnel que le film précédent, Seishun zankoku monogatari marque également une nette rupture en terme de narration, de tonalité et de traitement cinématographique. Plus radical, féroce que le contemporain Rokudenashi de son camarade Kijû Yoshida ou que les productions de la "Nouvelle vague" française sensées avoir provoqué sa réplique nippone, ce deuxième volet est très probablement le plus frappant de la "Trilogie de la jeunesse".
Lorsqu'elles sortent le soir, Makoto Shinjo et son amie Yoko ont pris l'habitude de solliciter un automobiliste pour les raccompagner chez elles. Cette nuit-là, le chauffeur après avoir déposé la seconde, se montre un peu trop entreprenant à l'égard de la lycéenne, tirée du danger par un étudiant nommé Kiyoshi Fujii qui profite de la situation pour soutirer une jolie somme d'argent au vieil agresseur. Le lendemain, Makoto et Kiyoshi assistent ensemble à une manifestation contre l'alliance nippo-étasunienne puis louent un hors-bord. Sur les troncs d'arbres flottants à la surface de la rivière Sumida, Makoto, embrassée de force par Kiyoshi, réplique par une gifle qui en appelle d'autres en retour. Jetée à l'eau, elle est empêchée d'en sortir jusqu'à l'épuisement puis abusée. Réconciliés, Kiyoshi et sa nouvelle conquête se rendent dans le modeste logement du premier où ils trouvent Yoshimi, un camarade de l'étudiant au lit avec une fille, obligeant le jeune couple à attendre la fin de ces ébats dans un bar. Interrogé par Makoto sur son amour pour elle, Kiyoshi répond par l'affirmative avant d'être entrepris par un trio de jeunes voyous, visiblement intéressés par une transaction fondée sur le monnayage des charmes de son amie. A proximité du domicile de Makoto, celle-ci présente Kiyoshi à sa sœur aînée Yuki.
En intitulant son film "Conte" (monogatari)*, Nagisa Oshima fait d'emblée une allusion digressive à ses aînés Yasujiro Ozu et Kenji Mizoguchi. Ce choix, étrange et paradoxal en raison du fort réalisme accentué par la réalisation de ce film tourné en extérieurs, apparaît comme le signe de cette rébellion qui anime le cinéaste mais aussi son personnage masculin principal sans illusions ("nous n'avons pas de rêves"). Le scénario pose évidemment la question, récurrente à cette époque, de l'autonomie laissée (abandonnée devrait-on dire !) à la jeunesse, une indépendance a contrario refusée au pays lui-même par son ancien ennemi militaire devenu un aliénant, étouffant tuteur. Il soulève conjointement celle de l'échec des aînés et du conflit générationnel. Seishun zankoku monogatari, qui évoque irrésistiblement Rebel Without a Cause plus qu'A bout de souffle sorti également en 1960, est le récit d'une errance conduite, dominée par l'argent, le désir, la transgression et la violence. Oshima réussit à créer et entretenir une atmosphère nerveuse, sombre, charnelle et pesante, les deux personnages principaux, solidement interprétés par Yusuke Kawazu (au casting, la même année, de Rokudenashi déjà cité) et Miyuki Kuwano aperçue chez Yasujiro Ozu, restant, jusqu'au double drame final, sous la menace d'un danger toujours imminent. Une œuvre assurément décisive.
___
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire