lundi 3 août 2015

Pickpocket

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"Tout a peut-être une raison."

Cinquième long métrage de Pickpocket possède la particularité d'être le premier réalisé à partir d'un scénario original1 du cinéaste. Produit par Agnès Delahaie2, cette chronique de l'apprentissage et de l'exercice (d'abord solitaire puis associatif) du vol à la tire narrée par un jeune homme sans ressources ni emploi étonne malgré la présupposée trivialité de son sujet. Le cinéma de  repose, les amateurs le savent bien, sur un équilibre subtil obtenu par l'interaction entre récit, mouvement intérieur et style. La peinture, à laquelle il se vouait initialement, lui a appris l'importance de la composition comme vecteur d'animation. Le film sollicite ainsi une double perception ; au moment de sa sortie, le cinéaste ne se disait-il persuadé que "le public [était] prêt à sentir avant de comprendre" ? Définition sans doute la plus pertinente du concept pictural d'"abstraction lyrique" adapté par Gilles Deleuze à l'œuvre de .
A travers le dépouillement formel3, au réalisme presque austère, lieu de franche opposition entre matérialisme (prosaïsme ?) et désintéressement sceptique, entre gravité et insouciance se joue une étrange partition. Celle interprétée de façon souvent contradictoire par Michel4, personnage au détachement troublant, à l'égard de la propriété (la porte de sa chambre de bonne est toujours ouverte lorsqu'il ne s'y trouve pas), du travail auquel il cède une fois contraint, des autres mais aussi de sa propre mère. Voleur par "faiblesse", par défi et goût assumé de la transgression (son persistant jeu de cache-cache avec l'inspecteur de police en atteste) plus que par nécessité. La dimension artistique et la modernité de Pickpocket5 me semblent au moins aussi affirmées que celles du Hiroshima mon amour d', davantage probablement que celles des Quatre cents coups de François Truffaut6, tous deux sortis six mois avant, en juin 1959. Un film intimement  (à l'image du futur Au hasard Balthazar), essentiel.
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1. c'était aussi le cas pour le court  (1934), moins pour Les Anges du péché (1943) placé sous la double influence du prêtre dominicain  et du dramaturge-romancier Jean GiraudouxPickpocket fait néanmoins référence, à la marge, au concept  (dans "Crime et châtiment") de "l'individu supérieur affranchi des lois".
2. quatrième des six films (dont Procès de Jeanne d'Arc, le suivant de ) produits par l'épouse de Robert Dorfmann.
3. avec lequel la solennelle musique symphonique de Jean-Baptiste Lully fait contrepoint.
4. joué avec flegme par l'acteur uruguayen  dont la carrière s'est surtout déroulée au Mexique ; Costa-Gavras lui confia un second rôle dans Missing (1982). Il est ici accompagné d'autres débutants dont la Suédoise  (sœur aînée de  - Au hasard Balthazar, époux de Marlène Jobert, les deux parentes seront d'ailleurs réunies dans Le Passager de la pluie),  et les participations d'Henri  (l'ex-pickpocket de Tunis devenu prestidigitateur est également conseiller technique) et .
5. premier des trois films de  candidats à un "Lion d'or" berlinois.
6. Jean-Luc Godard n'avait, lui, pas encore tourné de long métrage.






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