vendredi 16 juillet 2004

The Crucible (la chasse aux sorcières)


"Nulle cour n'attend que des saints lui fournissent des preuves."

Près de quarante après Les Sorcières de Salem* de Raymond Rouleau, scénarisé par Jean-Paul Sartre avec Simone Signoret(remarquable en Elisabeth Proctor), Yves Montand et Mylène Demongeot dans les rôles principaux, c'est Nicholas Hytner qui nous offre, pour son deuxième film, sa version de la pièce (1953) d'Arthur Miller. L'auteur se charge lui-même de l'écriture du scénario... et de la direction des acteurs. Homme de théâtre (metteur en scène, il est aussi directeur du London's National Theatre), Hytner préserve, malgré quelques légères libertés narratives, la dimension scénique de l'œuvre originale, avec une prépondérance des dialogues par rapport à l'action. The Crucible, au modeste succès public, a cependant été nommé pour l'"Oscar" du meilleur scénario adapté et pour l'"Ours d'or" de Berlin en 1997 (décerné à The People vs. Larry Flynt de Milos Forman).
En 1692, un étrange mais inoffensif rite occulte, destiné à favoriser la naissance d'un amour chez certains hommes pour les jeunes filles qui y participent, tourne à l'hystérie dans le village de Salem (Massachusetts). Surprises par le révérend Parris (Bruce Davison), certaines d'entre elles simulent le coma, puis, collectivement, l'envoûtement diabolique. Imaginant qu'il s'agit d'un bon moyen pour éliminer les personnes indésirables du village, celles-ci, à l'initiative d'Abigail Williams (Winona Ryder), la nièce de Parris, sont dénoncées pour commerce avec le diable. L'objectif secret d'Abigail est, notamment, d'éliminer par ce procédé Elizabeth (Joan Allen), l'épouse de John Proctor (Daniel Day-Lewis). Elle a, en effet, eu des relations charnelles avec ce dernier et est amoureuse de lui. Un procès en sorcellerie s'ouvre alors, conduit par le juge Thomas Danforth (Paul Scofield), condamnant à la pendaison dix-neuf des habitants de Salem.
Dans la mémoire collective, Salem reste, encore aujourd'hui, associé aux sorcières et à leur procès, tenu de juin à septembre 1692. La pièce d'Arthur Miller essayait de traduire le contexte et le mécanisme de cet effroyable engrenage** théologico-meurtrier. Il ajoutait une intrigue, improbable dans les événements réels, celle d'une idylle adultérine entre Abigail Williams (onze ans au moment des faits) et John Proctor (plus de soixante-cinq ans). Le film est fidèle au drame scénique, transformant seulement l'esclave indienne de Parris en native des Barbade et montrant, dans sa séquence inaugurale, la cérémonie ésotérique seulement suggérée dans la pièce. Le film est, au delà de la fresque historique, une critique sociale. Ici la religion, comme ailleurs la raison d'Etat, sert de prétexte à l'intérêt personnel plus que collectif. Arthur Miller et Nicholas Hytner montrent assez bien les enjeux réels de cette farce sinistre. S'attirer les faveurs d'un homme, voler la terre d'un voisin, se venger de la perte d'enfants, supprimer des adversaires politiques, mais aussi éliminer les marginaux, les sans-grades, les faibles ou, simplement, ceux dont la tête ne nous revient pas.
Hélas, à partir de cette authentique tragédie, mascarade tristement absurde*** créant, en permanence, sa propre justification, le film ne trouve pas vraiment son rythme et son souffle. Même les acteurs, pourtant solides, ne réussissent pas à convaincre et à "emballer" le film. Winona Ryder développe un jeu simpliste, entre frustration et envoûtement hystérique. L'interprétation de son partenaire de The Age of Innocence, Daniel Day-Lewis, est en demi-teinte, même dans la scène finale du "vous m'avez pris mon âme, laissez-moi au moins mon nom". Les performances les plus intéressantes sont celles de Paul Scofield, en juge investi d'une mission divine ne laissant pas de place au doute, et de Joan Allen. L'actrice fut d'ailleurs nommée aux Oscars dans la catégorie "meilleure actrice dans un second rôle" (récompense attribuée à Juliette Binoche pour The English Patient).
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*une métaphore du maccarthysme de la part d'artistes engagés, ce qu'était déjà, en substance, la pièce de Miller.
**se situant, historiquement et moralement, quelque part entre l'Inquisition espagnole et la dénonciation pendant la Seconde Guerre mondiale.
***dans laquelle on sauve sa vie par un faux aveu.

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