mardi 13 juillet 2004

Rekopis znaleziony w Saragosie (le manuscrit trouvé à saragosse)


"Pourquoi tant de mots incompréhensibles ? Pour me distraire en chemin."

Rekopis znaleziony w Saragosie est le quatrième long métrage de Wojciech Jerzy Has. Ce qui frappe dans ce film, c'est, bien sûr, sa construction qui doit beaucoup à l'œuvre littéraire originelle, mais aussi cette truculence picaresque, à la fois inquiétante et drôle, digne d'un Buñuel, peu courante dans le cinéma d'Europe de l'est. Lors de sa première sortie en France, en 1964, le film avait été présenté dans sa version courte d'environ deux heures (l'intégrale dure près de trois heures). C'est à Jerry Garcia (chanteur et guitariste du groupe Grateful Dead) et à Martin Scorsese que l'on doit sa restauration, menée en 1996 par le Pacific Film Archive.
Un soldat français, réfugié dans une auberge pendant une bataille en Espagne, découvre un étrange manuscrit. Captivé par sa lecture, il ne voit même pas la menace constituée par quelques combattants ennemis. Leur chef renvoie sa troupe et s'associe au français pour parcourir l'ouvrage. Coïncidence, l'histoire est celle d'un de ses ancêtres, Alphonse Van Worden (Zbigniew Cybulski), un chevalier wallon en route pour Madrid. Sur son chemin, non loin d'un gibet, il s'arrête dans une auberge isolée et apparemment abandonnée, la Venta Quemada. Là, il est invité à dîner dans un décor fantastique et enchanteur par deux princesses maures, Emina et Zibelda. Alphonse apprend qu'ils sont parents par sa propre mère, une Gomélez. Ce n'est que le début d'intrigantes mésaventures.
Rekopis znaleziony w Saragosie est une œuvre hallucinante, au sens étymologique du terme. Entre comédie et fantastique, le réalisateur nous fait pénétrer, par ses motifs de répétition, son symbolisme baroque et par le pouvoir de suggestion de son expressionnisme dans une douzaine d'histoires imbriquées (sur la centaine du roman, écrit en français, de Potocki). Fait étonnant pour un Polonais, Has traduit remarquablement la fantasmagorie ibère à travers cet univers singulier peuplé de chevaliers, de poètes, de femmes girondes, de revenants et de spadassins (même si ce dernier vocable est d'origine italienne !). La photographie en noir et blanc renforce la dimension fantastique, parfois spectrale, du récit. On a, par moment, l'étrange impression, en raison du jeu des acteurs dans lequel la gestuelle et le regard sont déterminants, d'assister à un de ces monuments muets des débuts du cinéma. Une prise de vue souvent en contre-plongée, une bande originale qui mérite, plus que jamais, son qualificatif écrite par celui qui composera les scores de The Exorcist et The Shining parachèvent de créer le trouble, voire le vertige, chez le spectateur de cette perle cinématographique enfin retrouvée.


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