dimanche 14 mars 2004

Les Enfants terribles


"C'est confondant !"


Deuxième long-métrage de Jean-Pierre Melville, Les Enfants terribles est tiré du court roman éponyme(1) de Jean Cocteau, paru en 1929. L'auteur avait, deux ans auparavant, adapté au cinéma sa propre pièce de théâtre, Les Parents terribles, dont le thème, celui de l'inceste latent, est comparable. On raconte que c'est Cocteau qui, après avoir vu Le Silence de la mer, aurait proposé à Melville de porter à l'écran son livre(2). Autant le dire tout de suite, le film de Melville, qui n'a quasiment rien de personnel, ne possède pas la force et le charme de l'œuvre de Cocteau. On peut même, raisonnablement, s'interroger sur les raisons qui l'ont poussé à collaborer avec son cadet plutôt que de mettre, lui-même, en scène son ouvrage(3). D'autant que la paternité du film est restée source de controverses.
Elisabeth (Nicole Stéphane) et Paul (Edouard Dermithe) vivent pratiquement en autarcie. Elle s'occupe de sa mère infirme, puis de son frère, obligé de quitter l'école et de garder le lit après avoir reçu une boule de neige. Leur chambre, dans laquelle règne un désordre entretenu, est leur temple et leur salle du trésor. Et bien qu'ils se chamaillent constamment, les deux adolescents sont très liés l'un à l'autre. A la mort de leur mère, ils vont passer des vacances à la mer grâce et avec le père de leur camarade Gérard (Jacques Bernard). De retour dans la capitale, Elisabeth trouve un emploi de mannequin et fréquente un jeune garçon, Michael, qui l'épouse. Hélas, celui meurt dans un accident d'automobile, le lendemain de ses noces, laissant à son épouse un grand appartement et une fortune coquette. Une collègue d'Elisabeth, Agathe (Renée Cosima) vient vivre avec les "terribles enfants", rejointe par Gérard. Une dramatique intrigue, orchestrée par Elisabeth, va se nouer entre les protagonistes.
En désaccord avec Truffaut(4), on peut dire que le récit a perdu, en passant à l'écran, une partie de son étrangeté et de sa magie. Enfantillages littéraires, "vies racontées", huis-clos à peine aéré par le voyage dans le midi et le passage par les salons du couturier Ch. Dior, Les Enfants terribles ressemble davantage, malgré la narration de Cocteau, à un exercice de style qu'à la poétique et fantastique tragédie romanesque originelle. Le traitement et les acteurs sont, apparemment, fidèles à Cocteau, mais le film n'a pas le caractère et l'énergie d'Orphée ou de L'Eternel retour (Delannoy) par exemple, sans même évoquer l'incomparable "rêve dormi debout" qu'est La Belle et la bête. La fascination d'un "cinéma comme art de filmer la mort au travail", pour reprendre la formule de Cocteau, ne fonctionne pas ici. Nicole Stéphane, la jeune fille muette du Silence de la mer, et Edouard Dermithe(5) trouvent, avec Les Enfants terribles, le rôle essentiel de leur courte carrière au cinéma. Leur interprétation est théâtrale, ce qui, ajouté aux musiques de Bach et Vivaldi, donnent une vaine grandiloquence, pour ne pas dire prétention, au film. Son intérêt majeur reste cette curieuse collaboration entre un cinéaste qui s'illustrera dans des œuvres très différentes et un peintre, poète et metteur en scène important qui accepta, dans un geste ambigu, de confier à un autre une récit si intime.
___
1- rédigé en dix-sept jours lors d'une cure de désintoxication.
2- telle est la version de Melville.
3- réponse dans les suppléments.
4- "le meilleur roman de Jean Cocteau est devenu le meilleur film de Jean-Pierre Melville (1974)."
5- les deux acteurs ressemblent beaucoup, physiquement, à Cocteau. Dermithe apparaissait déjà dans L'Aigle à deux têtes et Orphée et ne quittera pas le monde de l'auteur du Sang d'un poète, même dans le film de Franju, Thomas l'imposteur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire