vendredi 26 mars 2004

Génération FLNC


"On ne fonde rien sur la mort d'un homme."


Remarquable documentaire signé en 2002 par Gilles Perez et Samuel Lajus sur ce que l'on a l'habitude d'appeler le "Dossier Corse" ou le "Problème corse", et son acteur permanent, le Front de Libération National Corse (F.L.N.C.). Depuis bientôt trente ans, nous sommes régulièrement interpellés par les médias sur les multiples crises et opérations violentes que connaît, selon les opinions, le plus beau département de France ou l'une des plus belles îles du monde. Mais qui, parmi nous, pourrait réellement répondre aux questions suivantes : pourquoi et comment est né le mouvement nationaliste corse ? Quels étaient ses animateurs et quel projet ambitionnaient-ils ? Quelle est la référence qui a donné son nom au F.L.N.C. ? Quelles étaient les contradictions que développait, en son sein, le Front ? Pour cela, les deux auteurs de ce document unique ont mené un enquête de deux ans, rencontrant quatre-vingt personnes dont les fondateurs et cadres du F.L.N.C. et leurs adversaires politiques, judiciaires et policiers au cours de 130 heures d'entretien, compulsant 70 heures d'archives, dont notamment des inédits de la Cour de sûreté de l'Etat. Le résultat est passionnant pour qui s'intéresse au sujet et particulièrement instructif pour tous.
En retraçant l'histoire du F.L.N.C., dans sa chronologie, le documentaire nous montre, en les expliquant, les efforts et les maladresses d'un pays pour apporter une solution à une demande, à la base totalement légitime, de protection d'un patrimoine social, culturel et économique d'une région singulière, y compris dans son histoire, de la nation française. Il dresse, en même temps, un étonnant, par sa perspective, portrait de la société française de la fin du XXe siècle. Génération FLNC est articulé en deux parties :
1973-1983 : les années romantiques de l'écologique "affaire des boues rouges" qui est le premier catalyseur d'un mécontentement populaire, l'émergence de la figure d'Edmond Simeoni, fondateur de l'Action pour la Renaissance de la Corse, la création du Front le 5 mai 1976 et les premières actions spectaculaires (plasticage d'un Boeing 747 sur l'aéroport d'Ajaccio en septembre 1976, attaque de la base militaire de Solenzara en janvier 1978) jusqu'à la disparition de Guy Orsoni, le frère d'un des chefs du mouvement nationaliste.
1984-1999 : les années de plomb caractérisée par la scission du mouvement, le début des assassinats de militants et une certaine dérive mafieuse, période qui s'achève (provisoirement) avec le meurtre du préfet Erignac et l'accord de Fiumorbu qui scelle la réunification du Front. Le film, qui alterne entretiens et archives, est intelligemment rythmé et on ne ressent aucune longueur que pourrait faire craindre un métrage de plus de deux heures. La photographie de la partie entretien est une réussite : beaucoup de gros plans dans des ombres et lumières contrastées qui nous font presque pénétrer la psychologie des intervenants. La tonalité est tour à tour sérieuse, drôle, dramatique, anecdotique avec, en contrepoint, la diffusion d'archives qui interviennent comme des éléments de narration à part entière et non comme seule illustration. Avec cet efficace travail, nous avons tous les moyens d'être mieux informés sur l'une des pages, toujours en écriture, de l'histoire de France et sur l'un des dossiers d'Etat les plus médiatisés et, paradoxalement, les moins connus de notre pays.

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