jeudi 26 février 2004

Le Souper


"- Fouché : Auriez-vous besoin de mon bras ?
- Talleyrand : Oui, comme vous avez besoin de ma tête."

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On connait, bien sûr, Edouard Molinaro auteur de comédies et réalisateur de télévision. Au début des année 1990, il se pique de film historique et tourne, presque coup sur coup, Le Souper et Beaumarchais, l'insolent qui se situent, historiquement, à peu près à la même époque. Les deux sont le fruit d'une collaboration avec Jean-Claude Brisville, auteur de la pièce créée au Théâtre Montparnasse en 1989 et de l'adaptation de la pièce de Sacha Guitry. Brisville s'est, de toutes évidences, inspiré des "Mémoires d'outre-tombe"(1) de François-René de Chateaubriand pour imaginer ce qu'a(urait) pu être cette étonnante rencontre, réelle ou, plus vraisemblablement, imaginaire entre deux hommes qui ne s'appréciaient guère(2).
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"Six juillet 1815. Napoléon, défait à Waterloo, est en route pour l'exil. Ses vainqueurs occupent Paris et souhaitent rétablir la monarchie. Mais l'esprit de la Révolution souffle encore..." Par une nuit d'orage sur la capitale, le prince Charles-Maurice de Talleyrand revient à son hôtel particulier d'une réception organisée par le duc de Wellington. Il est en compagnie du duc d'Otrante et chef de la police Joseph Fouché qu'il a convié à un souper. Le premier veut le convaincre de faciliter une nouvelle restauration de Louis XVIII, avec lequel il doit s'entretenir le lendemain à Saint-Denis. D'abord réticent et sûr du pouvoir que lui confère sa position, le second se laisse convaincre par son interlocuteur. Tous deux usent, néanmoins, d'arguments qui prouvent que rien n'est possible sans eux, dans un face à face de négociation tour à tour diplomatique et menaçant. Dehors, le peuple de Paris, animé par le désir d'en découdre à nouveau, attend sous les fenêtres, contenu par des policiers. Il sait que cette rencontre, entre deux hommes influents, va façonner le futur de la France.
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Talleyrand et Fouché, "le vice appuyé sur le bras du crime" comme les présente Chateaubriand, étaient étonnement opposés en tout et pourtant intimement indispensables l'un à l'autre. Le premier, descendant d'une famille de haute noblesse du Périgord, royaliste par ses origines mais républicain de cœur (et par vengeance), le second, fils d'un officier de marine de Loire-Atlantique, acteur de la Convention mais ne refusant pas de servir un roi. Ils partagent d'avoir fréquenté le séminaire (Talleyrand sera même nommé évêque d'Autun par Louis XVI), d'avoir eu, pour des raisons différentes, une enfance difficile et d'être absolument opportunistes et meurtriers. C'est ce contraste subtile qu'a essayé de mettre en images, dans ce double huis-clos (lieu et dialogue) parfois étouffant, Molinaro. Il y réussit à peu près, surtout grâce à la qualité de l'interprétation de ses deux comédiens, ses deux Claude que sont Rich et Brasseur(3). Le premier toujours remarquable et qui mérite amplement son "César du meilleur acteur", le second ressuscité après des années 1980 en demi-teintes (pour ne pas dire quart de teintes !). A peu près parce que le film, pour être réellement apprécié, doit être vu après s'être sérieusement documenté sur les personnages et sur les événements qui ont précédé la date de cette (im)probable rencontre. Beaucoup de personnages et de faits sont évoqués qui nécessitent une connaissance, même modeste, au préalable. Autre (faible) désagrément, peut-être plus subjectif, l'utilisation, parfois, d'un vocabulaire et d'un jeu d'acteur (seul Rich n'en souffre pas) trop modernes pour l'époque. Mais, en définitive, bien qu'exigeant et perfectible, Le Souper est, comme celui des protagonistes(4), délicieux et fin.
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1. troisième partie, I, livre VI.
2. "... M. de Talleyrand n'aimait pas M. Fouché ; M. Fouché détestait et, ce qu'il y a de plus étrange, méprisait M. de Talleyrand..." ("Mémoires d'outre-tombe" livre 23 - chapitre 20 - "Saint-Denis" de Chateaubriand)
3. infiniment plus convaincants que John Malkovich et Gérard Depardieu dans les mêmes rôles du film d'Yves Simoneau tiré de l'ouvrage de Max Gallo, Napoléon (2002).
4. asperges en petits pois, culs d'artichauts à la ravigote, saumon à la royale, filets de perdrix à la financière... Outre d'être un redoutable politicien, Talleyrand était un fin gourmet !

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