lundi 9 février 2004

Journey Into Fear (voyage au pays de la peur)



"Pourquoi suis-je entrain de terminer cette lettre que je vais déchirer ?"

Journey into Fear aurait dû être le troisième film d'Orson Welles sous contrat avec la RKO. Mais, on le sait, le relatif insuccès (incroyable a posteriori) de Citizen Kane aux Etats-Unis fait perdre au réalisateur son statut unique dans le cinéma du début des années 1940, sa liberté pour tourner The Magnificent Ambersons et la direction du film qui nous intéresse ici, confiée à Norman Foster* dont la réputation était plutôt modeste. Tiré de l'oeuvre homonyme, sortie en 1940, du britannique Eric Ambler**, spécialiste et probable inventeur du roman d'espionnage moderne, le film a su préserver la dimension de tragi-comédie de l'ouvrage.
Howard Graham (Joseph Cotten) est un ingénieur d'une firme d'armement américaine, Bainbridge & Son Armaments, qui doit finaliser une importante vente à la marine turque. Arrivé à Istanbul avec son épouse (Ruth Warrick), il rencontre Kopeikin (Everett Sloane), l'agent local de son entreprise qui décide, sous prétexte de parler affaires, de l'emmener, seul, dans un cabaret. Là, il fait la connaissance d'une jeune danseuse, Josette Martel (Dolores del Rio) et participe au tour d'un magicien. Pendant son exécution, celui-ci est tué, dans l'obscurité, alors qu'il avait pris la place de Graham. Reçu pour interrogatoire par le colonel Haki (Orson Welles), il apprend que la tentative d'assassinat, dont un certain Banat (Jack Moss) serait l'auteur, le visait, probablement pour retarder la livraison d'armes pour laquelle il a été envoyé. Le colonel Haki lui demande de partir, immédiatement et sans son épouse, en bateau pour Batoumi, moyen plus sûr que le train qu'il devait prendre le lendemain. Sur le bateau, Graham retrouve Josette accompagnée de son partenaire de spectacle. Parmi les passagers, figure aussi un homme qui répond à la description de Banat.
Etrange et bref (un peu plus d'une heure) film construit sur le mode du flash-back épistolaire, Graham écrivant, sur un ton d'outre-tombe, à son épouse pour lui narrer et expliquer la folle journée qu'il a passé après l'avoir quitté en compagnie de l'agent Kopeikin. Etrange parce que l'on a rapidement la curieuse sensation que l'histoire n'est, paradoxalement, pas l'élément crucial du film. D'ailleurs, elle est peu crédible pour un esprit rationnel, émaillée d'invraisemblances et à la continuité assez peu rigoureuse. Même la nationalité des "méchants" (ils sont sensés être des allemands nazis) n'est pas essentielle et le dialogue insiste peu sur cet aspect des événements. Ce qui, visiblement, intéresse le metteur en scène, ce sont les ambiances et les personnages, qui sont plutôt réussis. Sans être vraiment un film-noir, il n'en respecte, en effet, pas les codes, c'est pourtant le genre qui lui est le plus proche si l'on se réfère aux atmosphères et aux nombreuses scènes à deux acteurs. La photographie est un atout incontestable, avec un très efficace jeu des ombres et lumières, en particulier dans la scène qui se passe sur la façade de l'hôtel à la fin du film.
La distribution est, dans les grandes lignes, celle de Citizen Kane. Joseph Cotten, qui vient du Mercury Theatre de Welles et dont c'est seulement le troisième rôle au cinéma, tour à tour abattu et combatif, placé dans une situation qu'il ne maîtrise pas, annonce déjà le remarquable interprète qu'il sera chez Hitchcock et dans le Troisième homme de Reed. Orson Welles n'a aucune difficulté à entrer dans le costume de l'inquiétant colonel Haki. Everett Sloane, Ruth Warrick et Agnes Moorehead, relativement peu présents à l'écran laisse la vedette au personnage énigmatique incarné par Dolores del Rio et au "physique" de Jack Moss.
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*surtout connu pour avoir dirigé Peter Lorre dans quelques épisodes du détective japonais Moto.
**un autre de ses romans a inspiré le Topkapi de Jules Dassin et on lui doit le scénario du prequel de Titanic, A Night to Remember de Roy Ward Baker en 1958 et d'un épisode de la première saison de The Alfred Hitchcock Hour, The Eye of Truth.



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