vendredi 22 mai 2015

Crime and Punishment (crime et châtiment)

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"... Let his conscience be his prison. What was that beautiful expression? "Steel-bound'."

Troisième adaptation1 (la première du cinéma parlant) de l'illustre roman publié en 1866 par l'auteur russe Crime and Punishment n'en est pas la plus fidèle. , contractuellement obligé d'assurer sa direction, le désavouait d'ailleurs pour cette raison. Tout en conservant la trame dramatique de l'œuvre originale, le scénario de Samuel K. Lauren (Blonde Venus) et 2 s'autorise en effet des libertés, raccourcis et simplifications3 qui en modifient pour partie le sens et la portée philosophico-morale. Ainsi, Roderick (Rodion dans le livre) Raskolnikov termine-t-il ici major complimenté de sa promotion universitaire, ne commet-il qu'un unique crime pour des motivations également moins définies (Rodion envisageait de mettre l'argent de son larcin meurtrier au profit de bonnes actions).
Les successifs face à face avec l'inspecteur Porify4 prennent aussi une importance narrative qu'ils ne possédaient pas, au détriment de la relation essentielle nouée avec Sonia5. Les éléments oniriques et prémonitoires disparaissent, le désespoir et la colère dictant la conduite de Raskolnikov. Les thématiques , destin (souligné par une brève évocation sonore à la "Cinquième symphonie en ut mineur op. 67" de Ludwig van Beethoven6), interdictions conventionnelles et transgression, foi et scepticisme, culpabilité, crainte de la sanction et expiation mais aussi et surtout celle d'une justice différenciée7 que prône Raskolnikov, sont abordées de manière moins organisée, moins cohérente. Une approche cinématographique toutefois compréhensible et recevable si l'on considère les exigences normatives d'Hollywood et les appétences d'un public en plein "New Deal" rooseveltien.
Trois raisons principales incitent au (re)visionnement de Crime and Punishment, cinquième8 et dernière collaboration du producteur de la Columbia Benjamin P. Schulberg avec . L'esthétique et expressionniste photographie en ombres et lumières de Lucien Ballard, crédité pour la première fois (il avait déjà collaboré à deux précédents films du réalisateur viennois émigré enfant aux Etats-Unis : Morocco en 1930 et The Devil Is a Woman9 diffusé en mai 1935). La prestation d', le fils d'immigrants allemands ensuite titulaire de seconds rôles chez Frank Capra. Et, bien sûr, l'interprétation de "célèbre vedette européenne" (selon la qualification au générique) arrivée en début d'année de Grande-Bretagne où il venait d'être dirigé dans The Man Who Knew Too Much par . Ce jeune (tout juste trentenaire) et incomparable acteur né au cœur de l'Autriche-Hongrie ne cesse de nous impressionner par sa puissance suggestive, sa maturité et sa singularité de jeu. Récente tête d'affiche de Mad Love10 réalisé par son inventif compatriote  pour la MGM contredit avec brio l'appréciation peu amène de 11, durablement convaincu que son choix était inapproprié sans pour autant apporter (comme pour disqualifier la comédienne londonienne  dans son sixième et ultime rôle - la fugace usurière dans le cas présent - au cinéma) aucun sérieux argument. La jeune et jolie  (l'éphémère vedette féminine des années 1930 avait notamment été la partenaire d'Edward G. Robinson dans le polar Five Star Final), la native roumaine  et les Canadiens  et  ont, à vrai dire, un peu de peine à exister à ses côtés.
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1. après celle (1917) de  avec  et l'allemande Raskolnikow (1923) de  avec . Relevons parmi les suivantes celle simultanée de  avec ,  et  (avec une bande originale composée par Arthur Honegger), celle (1956) de  avec  et , le soviétique Prestuplenie i nakazanie (1970) de  avec  et le finlandais Rikos ja rangaistus (1983) d'.
2. première contribution scénaristique pour le New-yorkais plus connu pour ses comédies romantiques comme Wedding Present, sorti l'année suivante.
3. en particulier la suppression de quelques personnages parmi lesquels Semion Zakharitch Marmeladov, le père de Sonia.
4. hybridation approximative du juge d'instruction Porphiri Petrovitch et du chef de la police Nikodim Fomitch.
5. on aperçoit son portrait dans la chambre de Raskolnikov.
6. dont l'activité de prostituée n'est ici pas clairement établie.
7. un assentiment moral (opposé à l'interdit légal) de tuer serait ainsi réservé aux individus d'exception tel Napoléon Bonaparte. Le concept nietzschéen de "surhomme" (agir par delà le bien et le mal) anticipé et dénoncé par  (parce qu'il le considère comme l'aboutissement du nihilisme, une négation de Dieu alors que Nietzsche y voit un dépassement, une transcendance fondatrice d'un nouveau système de valeurs) laisse la place à celui moins subversif de génie, d'homme hors du commun ou extraordinaire.
8. sept si l'on tient compte de It (1927), Children of Divorce (1927) et Street of Sin (1928) dans lesquels  n'apparaît pas au générique.
9. Ballard a néanmoins partagé avec  la récompense de la meilleure photographie décernée lors de la 3e Mostra.
10. après avoir vu le film, Charles Chaplin voyait en  le meilleur acteur de cinéma.
11. lequel admettait cependant que  était le seul acteur du casting... à avoir lu le roman de .





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