jeudi 18 septembre 2014

Le Dernier des injustes

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"Madagascar, Nisko, Theresienstadt, Auschwitz..."

Quatrième contribution complémentaire au déjà considérable Shoah, ce film de  nous permet enfin de découvrir son entretien avec Benjamin Murmelstein obtenu à Rome en 1975. Cette inédite et intéressante "archive" offre, en outre, à l'opiniâtre documentariste l'occasion de mettre en évidence "la sombre ligne implacable de la solution finale du sois-disant problème juif."  considère en effet, sans doute à juste titre, Theresienstadt comme une étape significative, peut-être même décisive, dans l'élaboration par le régime nazi de leur confusionnel système concentrationnaire et meurtrier. Succédant aux projets avortés d'expédition massive des Juifs à Madagascar puis à Nisko (Sud-est de la Pologne), le "ghetto modèle" de Theresienstadt1 ("localité thermale généreusement offerte" par le führer aux représentants âgés et élitaires de la communauté israélite tchèque) visait à faire de la déportation un décret discriminatoire "présentable" à défaut d'acceptable.
Ancien membre du Consistoire israélite de Vienne dont il dirige le bureau émigration (époque au cours de laquelle Adolf Eichmann réclame son assistance)Murmelstein devient l'unique et dernier intendant2, de septembre 1944 (cad après la visite propagandiste organisée pour le CICR) à sa libération en mai 1945, du camp de Theresienstadt. Jugé pour collaboration et acquitté par un tribunal tchèque, il est néanmoins resté sujet à controverse au sein de la communauté mais aussi pour certains historiens. Dans Le Dernier des injustes3, l'auteur de "Terezin, il ghetto modello di Eichmann" (1961) tente avec énergie et conviction d'exposer son rôle, ses modalités et conditions, de motiver son action. Murmelstein surprend en particulier lorsqu'il avoue avoir cédé à un mystérieux "abenteuerlust (désir d'aventures)" plutôt que de saisir les opportunités d'exil qui se sont présentées à lui.
Difficile de se forger une opinion définitive sur cet individu replet, intelligent et cultivé. Décédé en octobre 19894, Benjamin Murmelstein se comparait volontiers, avec humour, à la mythique Shéhérazade des "Mille et une nuits", épargnée par son sultan d'époux grâce au récit chaque nuit d'un nouveau conte.  semble lui éprouver une relative "sympathie" à son égard. Un sentiment qu'il ne dissimule d'ailleurs pas à la fin du film et qu'il conforte dans une récente réponse5 à la critique d'une historienne.

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1. sujet de la seconde partie d'Un Vivant qui passe (cf article).
2. le camp était auparavant prétendument auto-administré par un "judenräte" (conseil juif) de trois anciens dirigé d'abord par le docteur Paul Eppstein puis par Jakob Edelstein, tous deux éliminés par l'autorité nazie.
3. qualificatif inspiré à Murmelstein par le roman d'André Schwarz-Bart, "Le Dernier des justes", publié en 1959.
4. le Grand Rabbin de Rome refusa qu'il soit inhumé aux côtés de son épouse.
5. "J'ai réalisé un film de 3 heures 38 minutes, qui expose dans toute leur infernale complexité et avec honnêteté les contradictions sauvages auxquelles étaient soumis les chefs juifs du ghetto. [...] C'est cette honnêteté qui, de l'aveu de tous, rend les propos et le personnage de Benjamin Murmelstein bouleversants."

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