Il Bidone

"Ma vergognere?"

Qualifié, peut-être imprudemment, de "chef d'œuvre de Federico Fellini" par Jacques Rivette en février 1956, Il Bidone s'inscrit dans un "cycle" débuté deux ans auparavant avec "Un Agenzia matrimoniale" (segment de L'Amore in città). Dans ces deux films comme dans La Strada et Le Notti di Cabiria, le cinéaste instille une dose de fantaisie mais aussi de mysticisme au pur réalisme qui le caractérisait jusque-là. Après Anthony Quinn, Federico Fellini choisit un autre acteur étasunien, Broderick Crawford (All the King's Men), pour interpréter le personnage principal et être le partenaire de Richard Basehart et, dans un rôle secondaire, de Giulietta Masina déjà réunis dans le précédent.

Sur une route de campagne, Roberto Giorgio attend ses amis et complices Augusto Rocca et Carlo surnommé 'Picasso' pour leur donner les dernières instructions relatives à l'escroquerie qu'ils s'apprêtent à commettre. Ces derniers, déguisés en ecclésiastiques du Vatican, se rendent dans la modeste demeure de Stella Florina pour s'entretenir avec elle en privé. Lors de son ultime confession, un criminel a avoué au faux évêque de Filipis avoir tué et enseveli le corps d'un comparse, ainsi que leur butin, dans un champ proche de la maison. Si la propriétaire autorise que les ossements soient enterrés décemment, le défunt lui offre par testament le trésor enfui, estimé à plus de six millions de lires, déduction faite du coût (cinq cent mille lires) des cinq cents messes qui doivent être données pour son dernier repos. La pauvre femme et sa sœur ne parviennent à réunir que quatre cent vingt cinq mille lires, bien sûr acceptés par les habiles aigrefins. De retour chez lui, Carlo offre des cadeaux à Iris, convaincu que son époux est voyageur de commerce, et à sa fillette Silvana et les invitent à dîner au restaurant. De leur côté, Roberto et Augusto jouent les nababs dans le night-club qu'ils ont l'habitude de fréquenter. Quelques jours avant les fêtes de fin d'année, le trio organisent cette fois l'arnaque de misérables demandeurs de logements sociaux.

Tourné à Rome entre avril et juillet 1955, présenté en compétition lors de la 17e édition de la Mostra, la cinquième production de Federico Fellini apparaît d'abord comme un film de scénaristes. Le récit fataliste co-signé avec Tullio Pinelli et Ennio Flaiano (en compagnie desquels il collaborera respect. à treize et dix reprises) s'appuie en effet pour l'essentiel sur la forte imbrication de légèreté et de gravité et sur le jeu des acteurs. Sans recours inutile à de quelconques artifices de mise en scène pour en amplifier le relief. La confrontation amicale entre le solitaire et affligé Augusto Rocca et son cadet Carlo, qui espère encore pouvoir abandonner le "bidonnage", est sans doute l'un des moments (la scène du "flancher") les plus intenses du film. Détrousseurs de pauvres (Il Bidone se situe sur le terrain de l'amoralité et non de l'immoralité), ils n'en sont pas moins l'un et l'autre pathétiques, sentiment renforcé par l'épaisseur maladroite que Broderick Crawford donne à son personnage. Notons enfin la première apparition au cinéma de la jolie Florentine Lorella De Luca que l'on reverra dans plusieurs des films de son futur époux Duccio Tessari (notamment dans Il ritorno di Ringo aux côtés de Giuliano Gemma).