mercredi 11 février 2015

Les Diaboliques

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"Ah ma pauv' dame, c'est pas ici qui faut le chercher ; faites-moi confiance, sa vie est ailleurs !"

Toute première adaptation d'un roman de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, Les Diaboliques n'a, plus d'un demi-siècle après sa production, rien perdu de sa force narrative et de ses remarquables atouts artistiques. Le neuvième long métrage d', l'une des meilleures œuvres du cinéaste natif de Niort, demeure aussi une référence majeure du drame criminel. Influencés de manière explicite par le recueil de nouvelles "Les Diaboliques" (1874) de Jules Barbey d'Aurevilly1 et Jérôme Géronimi (déjà associés sur Le Salaire de la peur) décident de bouleverser assez sensiblement l'intrigue triangulaire qui fonde "Celle qui n'était plus"2 (1952). Le complot ourdi contre Mireille par son époux Fernand Ravinel, représentant de commerce, et son amante Lucienne laisse ainsi la place à une tentative d'assassinat d'un directeur de pension scolaire organisée par sa maîtresse aidée, un peu à contre-cœur, par la femme trompée de cet individu brutal et ignominieux.
La première partie du métrage s'emploie d'ailleurs à souligner l'opposition de caractères très marquée entre ces inusitées complices. Après un bref mais décisif "dépaysement" provincial, le film prend une tonalité différente, caractérisée par une progressive tension dramatique teintée d'illogique (d'irréel ?) et par un acmé quasi horrifique. Autant d'éléments parfaitement maîtrisés par  en équipe une sixième et pénultième fois avec l'adroit Armand Thirard (régulier directeur de la photographie de Julien Duvivier). La qualité de la distribution ne laisse évidemment pas indifférent, emmenée par un duo de femmes contrasté. La formidable , dont les talents venaient brillamment d'être soulignés par  et , est en effet ici associée à 3, la convaincante épouse brésilienne du producteur-réalisateur. , expressive incarnation de l'abjection,  (qui apparaît tardivement dans le récit) ou encore  tenant solidement les variés seconds rôles des Diaboliques"Prix Louis Delluc" 1954. A noter enfin, parmi les jeunes classes, la participation de  (co-vedette du récent Jeux interdits) et d', le frère aîné de Patrick Dewaere.

N.B. :
. le roman a fait l'objet de quatre autres adaptations : le britannique The Corpse (1971) de , les téléfilms étasuniens Reflections of Murder (1974) de  et House of Secrets (1993) de  auxquels s'est ajouté Diabolique (1996) réalisé par  pour la Warner, avec  et  dans les rôles principaux.
. la posture similaire adoptée par Nicole Horner puis par Michel Delassalle derrière Christina (voir galerie) offrirait-elle une implicite convergence ?
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1. cité ("une peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu'elle donne l'horreur des choses qu'elle retrace") en introduction du film.
2. première œuvre éditée du duo d'écrivains dont Alfred Hitchcock voulait acquérir les droits d'adaptation. Afin d'estomper la désillusion de celui-ci, Boileau-Narcejac écrivirent à son intention "D'entre les morts" (1954) à l'origine de Vertigo.
3. victime cinq ans plus tard... d'une crise cardiaque !








vendredi 6 février 2015

Young Ones

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Il faut louer chez  au moins deux qualités : savoir s'inscrire tout à la fois dans et hors de son époque filmique ; posséder une véritable écriture cinématographique. Young Ones*, second long métrage écrit et dirigé** par le frère cadet de Gwyneth, relève de la fable réaliste, intemporelle quoique légèrement futuriste. Le cinéaste (pas encore quadragénaire) vise davantage l'expression problématique que le spectaculaire, créé le plus souvent par artifices visuels et inutiles manifestations de violence. Le façonnage du scénario reste (volontairement ?) rudimentaire et imprécis. Mais, dans un contexte de forte pénurie d'une ressource vitale, il développe en trois parties (points de vue) un intéressant antagonisme de caractères doublé d'un conflit de générations. En outre, confier à l'outil technologique un rôle primitif dissimulant celui d'un témoin passif mais déterminant constitue une astucieuse trouvaille narrative. L'étroit casting, mené par , l'Anglais  (Hank/Beast dans les deux derniers volets de la franchise X-Men) et l'Australien  (le jeune garçon dans The Road), se montre plutôt convaincant. , dont le personnage manque il est vrai d'étoffe, déçoit en revanche un peu.
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*présenté au 30e Festival de Sundance dans la section "Premieres".
**sept après la comédie dramatique The Good Night.


The Tall Men (les implacables)

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"He's what every boy thinks he's going to be when he grows up and wishes he had been when he's an old man."

Tiré par  (The Big Heat) et  (récurrent collaborateur de ) du roman éponyme édité l'année précédente par Henry Wilson Allen* alias Clay Fisher, The Tall Men** propose un classique récit de convoyage de bovins, ici entre le Texas et le Montana. A cette trame très conventionnelle s'attachent néanmoins quelques singularités narratives qui contribuent à l'intérêt du film. D'abord les paysages enneigés de l'Etat septentrional où débute l'histoire puis l'inattendue association de deux brigands sudistes avec le fortuné et ambitieux individu qu'ils prévoyaient de dévaliser. S'ajoute ensuite une continuelle rivalité amoureuse, entretenue par Nella Turner (), entre Ben(jamin) Allison (), colonel démobilisé de l'armée confédérée qui l'a sauvée des Indiens, et Nathan Stark (), peu concerné à ce moment-là par le sort de la jeune femme.
La relation de Ben avec son jeune frère Clint () participe également à la dramatisation d'un scénario dans l'ensemble assez peu intense sur ce plan. La direction du presque septuagénaire  n'a rien perdu de son dynamisme et de sa rigueur. La scène d'affrontement avec les Indiens, au cours de la dernière partie du métrage, en constitue une preuve patente. Le réalisateur faisait ici équipe pour la première fois avec le directeur de la photographie Leo Tover (réputé pour la qualité de certains tournages en noir et blanc, notamment celui de The Heiress auprès de ) retrouvait aussi le monteur Louis R. Loeffler avec lequel il avait déjà travaillé à trois reprises à la fin des années 1920 (en particulier sur The Big Trail). Inédit, le trio de tête d'affiche se montre plutôt plaisant ; les acteurs vedettes ne parviennent pourtant jamais à mettre vraiment en évidence leurs talents respectifs et conjugués.
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*connu sous le diminutif d'Heck Allen, scénariste de la plupart des meilleurs dessins animés de Tex Avery et auteur du roman Mackenna's Gold porté à l'écran en 1969 par .
**sixième et dernier film produit pour la Fox par William A. Bacher, associé pour l'occasion à William B. Hawks, ancien agent de William Faulkner et petit frère d'Howard Hawks.






mercredi 4 février 2015

Riddick

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The Chronicles of Riddick (voir article) avait été une couteuse et assez quelconque première sequel de l'honorable Pitch Black. Devenus indépendants, tant vis à vis des frères Jim & Ken Wheat que d'Universal* et  ont probablement imaginé pouvoir relancer la série sur de nouvelles bases. Dans les faits, banalité et médiocrité caractérisent cette seconde (pourvu qu'elle le soit !) suite. Interminable et grotesque chasse à l'homme sur une planète inconnue à la faune hostile, Riddick est une production additionnelle certes moins dispendieuse mais tout autant superflue. Espérons que le relatif désintérêt du public** nous épargne d'éventuelles autres aventures du natif de Furya voyant la vie en rose. Le  serait-il, y compris au cinéma, nocif aux personnes exposées ?!
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*en contrepartie d'une apparition de  dans Fast & Furious: Tokyo Drift.
**42M$ de recettes US (+56M$ à l'international) pour un budget de 38M$ contre 58M$+58M$/105M$ pour The Chronicles... et 39M$+14M$/23M$ pour Pitch Black.

lundi 2 février 2015

La Petite vertu

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"... On est presque heureux."

Publiés en France à partir de 1946, les romans de l'écrivain anglais James Hadley Chase n'ont commencé à y faire l'objet d'adaptations que dix ans plus tard. Julien Duvivier fut le premier (et en réalisera deux),  et  lui emboitant le pas la même année. Sous la plume de Michel AudiardClaude Sautet et Serge Korber1"But a Short Time to Live"2 prend la forme d'un aimable drame sentimental. Histoire de l'improbable amour entre Ferdinand Thibault, jeune photographe un peu candide, et la bien nommée Claire Augagneur, pickpocket experte et, occasionnellement, prostituée de luxe soutenue par le crapuleux Louis Brady. En traversant la Manche, le récit originel a perdu l'essentiel de sa noirceur mais aussi de son intensité.
La Petite vertu, troisième long métrage de  après une dizaine de courts, doit donc aujourd'hui sa relative réputation à la qualité de sa distribution. D'abord la piquante 3, dirigée l'année précédente par le cinéaste parisien dans la comédie Un Idiot à Paris également produite par la Gaumont, aux côtés du vingtenaire  (dont la progressive notoriété s'était d'abord forgée en Italie puis auprès de  et Jacques Demy).  et  tiennent les principaux seconds rôles (avec une brève et muette participation de ).
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1. surtout connu pour ses plus tardives collaborations avec  ou pour Les Feux de la chandeleur.
2. édité en 1951 sous le pseudonyme de Raymond Marshall (la première version française est parue avec le titre "Sirène à la manque").
3. partenaire de  dans Le Pacha, sorti quelques semaines après.