mardi 18 septembre 2012

Pyaasa (l'assoiffé)


"... Telle est mon affliction, que je suis sur le point de renoncer au monde."

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Bien moins connu en Occident que son compatriote Satyajit Ray, Guru Dutt appartient pourtant, comme Raj Kapoor, à cette génération de cinéastes indiens(1) qui a contribué à rénover et populariser leur art. D'abord acteur avant de passer à la réalisation et à la production, le natif de Bangalore se forme en effet auprès d'Uday Shankar (frère aîné de Ravi) à la danse, à la musique et au théâtre. Mais la véritable impulsion donnée à sa carrière, il la doit à l'amitié liée avec Dev Anand. Devenu rapidement célèbre notamment grâce au succès de Ziddi, celui-ci offre à Dutt la direction de Baazi, un polar influencé par ceux produits à cette époque par les studios hollywoodiens qui lance la mode du genre dans un pays déjà dominé par la comédie et le drame musicaux. Dès ce premier film, Dutt imprime effectivement sa marque visuelle (gros plans auxquels son nom sera associé de manière indissoluble) et lyrique (les chansons ne constituent plus un élément décoratif mais concourent à la narration). A Jaal et Baaz(2) succèdent ensuite Aar-Paar, avec lequel son statut de réalisateur éminent se voit confirmé, la comédie sentimentale Mr. & Mrs. '55 puis le drame socio-poétique Pyaasa(3) souvent considérés, quoique très différents, comme les œuvres maitresses de sa restreinte production.
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Poète méconnu et désargenté, Vijay essuie le refus d'un vieil imprimeur irascible de publier ses ghazals. Sa mère, laissée sans nouvelle depuis longtemps, l'aperçoit au marché et l'invite aimablement à profiter de quelques friandises qu'elle lui a réservées. Mais l'un de ses deux frères aînés le jette dehors sans ménagement de la maison familiale après s'être vanté de la vente, à vil prix, de l'un de ses cahiers de poèmes. Interrogé, le chiffonnier lui apprend l'avoir à son tour cédé à une inconnue. Contraint de quitter la chambre de son ami Shyam qui reçoit une galante visite, Vijay s'apprête à passer la nuit sur un banc public d'un jardin surplombant le port. Il entend alors une jeune femme chanter un texte qu'il reconnait être l'un du recueil perdu et décide de la suivre. Mais arrivée à destination, l'espiègle prostituée le fait fuir en se moquant de sa pauvreté. Gulab découvre bientôt, en comparant un feuillet tombé de la liasse tenue par l'individu avec les poèmes du cahier acquis, qu'il est du même auteur et tente en vain de le rattraper pour s'excuser. Au matin, Vijay entrevoit une riche jeune femme sortant d'une automobile. Il se remémore sa rencontre avec Meena Sinha lorsqu'ils étaient étudiants et la naissance de leur amour espéré durable. Le lendemain, il croise une autre camarade, la replète Pushpa, laquelle requiert sa présence lors d'une réunion d'anciens élèves le soir même. Devant Meena mal à l'aise, Vijay y interprète un ghazal morose ; l'éditeur Ghosh le sollicite à cette occasion pour lui offrir un emploi.
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Pyaasa séduit à la fois par son classicisme acquis mais aussi par l'originalité du sinueux mais intéressant récit qu'il développe longuement. L'ambition artistique déployée y est également plus forte, comparée aux réalisations précédentes(4) de Guru Dutt. Le mythique amour partagé entretenu par Krishna avec la bergère Radha inspire à la marge (et brièvement de façon explicite) cette fable morale contemporaine(5) où dénuement et innocence ne peuvent, sans dommages ou retranchement, affronter les inhumaines cruauté et cupidité, où la reconnaissance ne s'obtient qu'à titre posthume. Vijay ne clame-t-il pas sa poésie réaliste comme répandait la dévotion le huitième avatar de Vishnou, victime de la querelle entre les hommes ? Si la tonalité de Pyaasa demeure sombre, voire désillusionnée, l'humour quelque peu dérisoire n'en est toutefois pas absent, en particulier à travers les séquences animées (manipulées !) par Badruddin Jamaluddin Kazi alias Johnny Walker, (compagnon régulier de Dutt depuis Baazi). Le réalisateur n'est, enfin, pas un acteur de circonstance. Aux côtés de Mala Sinha et surtout de Waheeda Rehman (choisie par Satyajit Ray pour être Gulabi dans son adaptation d'Abhijaan), il insuffle, par son interprétation sobre et nuancée, une remarquable combinaison d'esprit et de sensibilité constituant un des atouts essentiels de Pyaasa.
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1. celle venant après Mehboob Khan (Mother India) ou Bimal Roy (Do Bigha Zamin)
2. dans lequel il se met également, pour la première fois, en scène dans l'un des rôles principaux.
3. entre lesquels s'intercale néanmoins Sailaab.
4. justifiant probablement sa présence dans la liste des cent meilleurs films dressée en 2005 par le magazine "Time Magazine".
5. dans une Inde elle-même partagée entre les valeurs, simultanément concordantes et divergentes, insufflées par Mohandas Gandhi ou prônées par Jawaharlal Nehru.

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