vendredi 4 novembre 2011

Brief Encounter (brêve rencontre)


"I'm a happily married woman ; or rather, I was until a few weeks ago..."(1)

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Brief Encounter appartient à cette catégorie de films qui font, à juste titre, la fierté du cinéma britannique. N'est-il d'ailleurs pas placé en deuxième position des cent productions nationales du XXe siècle classées en 1999 par le British Film Institute(2) ? Sans mention au générique, il s'agit néanmoins de la libre adaptation (la troisième dirigée par David Lean) de la courte pièce intitulée "Still Life"(3) de Noël Coward. Ce pur mélodrame (au sens noble, sirkien du terme), après deux comédies dramatiques, offrait également au réalisateur l'occasion d'expérimenter un genre à la tonalité plus solennelle. Celle exprimée par l'admirable moderato du "Concerto pour piano n°2 (en do mineur, op. 18)" du compositeur russe Sergueï Rachmaninov dont le film est désormais devenu indissociable. Incarné avec un raffinement bouleversant par le duo Celia Johnson-Trevor Howard, réuni pour cette unique fois au cinéma, Brief Encounter reçut l'un des nombreux "Grand prix" remis lors du (second) premier Festival de Cannes avant d'être nommé dans trois catégories (scénario, réalisation et actrice principale) des Academy Awards 1947.
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A son entrée dans la buvette de Milford Junction, le chef de la gare Albert Godby doit expliquer à la responsable Myrtle Bagot la raison de son absence la veille au soir. Un couple à l'air morne est installé à proximité. Une relation de la femme s'impose bientôt à leur table, se lançant effrontément après les présentations dans un bavardage monologué quasi ininterrompu. L'arrivée du train de 17h40 pour Churley oblige le docteur Alec Harvey à quitter précipitamment son amie. Profitant d'un achat au comptoir de Dolly Messiter, Laura Jesson sort brièvement sur le quai pour vois passer l'Express. Prise d'un léger malaise à son retour, elle parvient malgré son étourdissement à monter dans un compartiment pour rentrer à Ketchworth où réside également Messiter. La conversation porte rapidement sur le docteur Harvey, son prochain départ pour Johannesburg avec son épouse et ses deux enfants. Ayant obtenu le silence de son bavard vis-à-vis, Laura s'enfuit dans des pensées mélancoliques. Elle retrouve chez elle son mari Fred ainsi que Bobbie et Margaret qui ont retardé l'heure du coucher pour la voir. En discussion avec Fred, Laura ne peut refréner une soudaine crise de larmes. Pour rassurer son conjoint, elle prétexte la fatigue des courses et une légère déprime. Confortablement assise, distraite par un vague travail de couture, Laura s'évade à nouveau dans un soliloque, muette confession adressée à Fred occupé à ses mots croisés. Elle se reproche son incohérence : être tombée amoureuse alors qu'elle s'en croyait incapable. Une passion née quatre semaines auparavant à la suite d'un incident anodin, une escarbille projetée dans l'œil par l'Express et ôtée, au comptoir du buffet de Milford, par un inconnu médecin sur le point de prendre son train. Un consultant hospitalier hebdomadaire croisé par hasard dans les rues de Milford le jeudi suivant ; puis une semaine plus tard, quand Laura avait accepté de partager sa table au très couru restaurant "Kardomah".
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Le troisième film de David Lean reste, soixante-six ans après sa sortie, tout bonnement incomparable. Une spécificité presque unique dans le genre en particulier et au cinéma en général. Rares sont, en effet, les drames romantiques ayant associé si brillamment l'évidence narrative à une telle rigueur artistique. Love Affair de Leo McCarey (dont Brief Encounter constitue en quelque sorte une antithèse) est de ceux-là(4). Lorsque Noël Coward et Lean débutent en janvier 1945 de cette dernière production ensemble, ils savent qu'elle se distinguera nettement des mélodrames estampillés Gainsborough Pictures qui connaissent pourtant depuis 1943 un certain succès. Pas qu'elle allait devenir une durable œuvre de référence. Brief Encounter fait avant tout le récit de l'antagonisme immémorial, intime, farouche de la raison et de la passion, pas une illustration moderno-suburbaine du bovarysme(5). L'accent est résolument sombre, désillusionné ; l'espoir du bonheur se mue implacablement en souffrance, l'amour consume et le réconfort n'existe probablement pas(6). Une couleur fort bien traduite en notes par le premier mouvement du concerto de Rachmaninov, anamnèse musicale du musicien où la douleur s'exprime avec gravité. En images par l'ombrageuse et contrastée photographie de Robert Krasker. Efficacement secondés, notamment par Stanley Holloway et Joyce Carey(7) dont les personnages forment l'autre couple illégitime, Celia Johnson et Trevor Howard (alors inconnu, en concurrence pour le rôle avec Roger Livesey, premier choix de Lean et Havelock-Allan) excellent à conjuguer naturel et intensité.
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1. ... This is my whole world, and it's enough ; or rather, it was until a few weeks ago."
2. à partir des réponses d'un millier de professionnels ayant placé en tête The Third Man de Carol Reed... et trois films de Lean (3e Lawrence of Arabia et 5e Great Expectations au milieu desquels s'intercale The 39 Steps d'Hitchcock) dans les cinq premiers !''
3. parmi les dix pièces en un acte du cycle "Tonight at 8:30". Elle fut créée à Londres en mai 1936 avec Gertrude Lawrence dans le rôle de Laura Jesson et Coward dans celui d'Alec Harvey.
4. ainsi que la série de mélodrames hollywoodiens entamée en 1953 Sirk. Mais sans doute pas Intermezzo de Gregory Ratoff (remake du drame réalisé par le Suédois Gustaf Molander) ou les plus tardifs The Bridges of Madison County de et avec Clint Eastwood et Falling in Love d'Ulu Grosbard.''
5. même si le scénario possède une implicite accointance, à travers l'aphorisme "la faculté départie à l'homme de se concevoir autrement qu'il n'est", avec la pathologie psycho-littéraire théorisée par le philosophe Jules de Gaultier.
6. comme semblent l'attester la bande-annonce de "Flames of Passion" (film imaginaire) et l'ultime image du film, le quai nocturne et désert de la gare, décor fondamental des événements.
7. partenaires la même année dans The Way to the Stars... dans lequel jouait également Trevor Howard.



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