dimanche 26 juin 2011

Salt of the Earth (le sel de la terre)


"Don't laugh! We have a solution, you have none."

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L'histoire du cinéma recèle quelques piquants paradoxes. Ainsi Herbert J. Biberman, qu'elle aurait dans d'autres circonstances peut-être oublié, ne réalise-t-il pas une fiction jugée très significative à cette aune... parce qu'empêché, en tant que membre des Hollywood Ten, de poursuivre sa courte carrière ? Œuvre de défi, Salt of the Earth relève en effet aussi bien de l'association de "malfaiteurs" blacklistés que de manifeste des idées progressistes à l'origine de leur absurde bannissement. L'unique film produit par le scénariste Paul Jarrico(1) dont le nom, comme celui de son homologue Michael Wilson(2), a longtemps été gommé des scripts avant d'être parfois rétabli à titre posthume, reste aussi le seul interdit de diffusion aux Etats-Unis (jusqu'en 1965)... censure contredite en 1992 par son entrée au très officiel National Film Registry(3).
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Esperanza Quintero se remémore des événements dont l'amorce lui semble confuse. L'épouse enceinte de Ramón, déjà mère de Luis et Estellita, la fixe le jour de ses trente-cinq ans. Un soir où son espoir de voir enfin l'eau chaude arriver par canalisations s'était confronté à d'autres priorités mises en avant par Ramón. En particulier l'amélioration des conditions de sécurité au travail négociée en vain par le syndicat des mineurs avec la direction de la Delaware Zinc Inc. de San Marcos (New Mexico) à la suite de cinq accidents successifs en une seule semaine. Lorsque Kalinski est à son tour blessé, Ramón s'oppose au contremaître Barton, accusé de défaillance, obtenant de ses collègues l'interruption immédiate de l'activité. Une réunion syndicale décide la grève et la formation de piquets défilant mais ajourne la revendication sanitaire défendue par Consuelo Ruiz déléguée par les femmes.
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Qu'avait donc de pernicieux, y compris au cours de ces années 1950 marquées par la Guerre froide et l'anticommunisme radical, l'exigence d'égalité entre travailleurs, entre homme et femme qui anime Salt of the Earth(4) ? "L'histoire américaine des relations de travail est singulièrement violente, beaucoup plus que dans d'autres sociétés industrialisées" (Noam Chomsky en 1995). La grève dans les usines textile de l'American Wollen Company à Lawrence (Massachusetts) quarante ans auparavant ou les premiers mouvements sociaux, en 1948, dans les champs de coton à Delano (Californie) qui ont forgé la vocation syndicaliste du paysan César Chávez devaient probablement être à l'esprit de Michael Wilson au moment d'entreprendre la rédaction de son scénario original. Tout à la fois réaliste et romanesque, le film d'Herbert J. Biberman réussit ainsi à rendre, entre légèreté et tragédie, les facettes diverses et contrastées de l'humanité. Moins dans la veine "politique" du On the Waterfront d'Elia Kazan à l'affiche cinq mois plus tard que dans celle de Stachka d'Eisenstein ou du lyrico-propagandiste Ya Kuba de son cadet soviétique Mikhail Kalatozov (rapprochements bien sûr provocateurs !), Salt of the Earth doit sans doute une grande partie de sa vigueur narrative et de sa force dramatique tant au contexte de production(5) qu'au recours à des interprètes majoritairement non-professionnels.
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1. à mille lieues des comédies pour lesquelles il a été ou sera nommé aux Academy Awards 1942 (Tom Dick and Harry) et Writers Guild of America 1959 (The Girl Most Likely).''
2. initialement non crédité pour ses contributions à The Bridge on the River Kwai, 5 Branded Women (avec Jarrico) ou encore Lawrence of Arabia notamment.
3. sur la liste duquel figurait également, entre autres, The Birth of a Nation et The Gold Rush.
4. expression évangélique professant un engagement en faveur de la justice et du respect de la dignité de la personne humaine... avant de devenir le titre d'une chanson des Rolling Stones (album "Beggars Banquet", 1968).
5. outre les éléments de causalité évoqués dans l'introduction, le tournage, réalisé entre janvier et mars 1953, fut souvent menacé, entravé, déplacé ; One of the Hollywood Ten, dans lequel Jeff Goldblum tient le rôle de Biberman, évoque ces conditions.

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