mercredi 5 novembre 2003

Shock Corridor


"Celui que Dieu veut détruire, il le rend d'abord fou." (Euripides)*


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Shock Corridor est l'un des films les plus connus de Samuel Fuller, un des préférés des cinéphiles au cours des années 1960... et peut-être encore aujourd'hui. Cette côte de faveur ne s'explique pas seulement par l'intérêt du récit et/ou le talent cinématographique de son auteur. C'est une œuvre qui crée une puissante corrélation avec son époque, elle la synthétise, la transcende presque.
Huis-clos étouffant, onirique, que l'on espérerait n'être qu'un cauchemar, Shock Corridor est fondée sur une histoire simplissime : la tentative d'un journaliste, visant le prix Pulitzer, de résoudre une affaire criminelle qui a eu lieu dans un asile psychiatrique. Pour cela, après une longue période de préparation, il s'y fait interner sous le motif de manie sexuelle. Son séjour parmi les fous ne sera pas sans effets sur son propre équilibre mental.
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Fuller qui se vantait (sans immodestie), en 1964, de n'avoir : "jamais fait un film parce que les circonstances l'y obligeaient, mais parce qu'il voulait le faire, qu'il avait une histoire et qu'il voulait la raconter" applique, manifestement, avec éclat, son principe créatif sans concession dans Shock Corridor. Scénariste de la plupart de ses œuvres, il y infuse, comme pour ses films de guerre, sa propre expérience de jeune journaliste chargé des affaires criminelles et lui donne, avec des moyens probablement dérisoires, une puissance remarquable. L'intrigue elle-même n'intéresse pas Fuller, on ne connaîtra rien du motif du meurtre ni de la personnalité de la victime.
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Mais on retrouve ce thème fullerien du changement d'identité et de l'influence du milieu sur les individus déjà rencontré dans House of Bamboo et Run of the Arrow des années 1950. Le réalisateur, par des jeux d'éclairage très simples mais très efficaces, parvient à créer une atmosphère oppressante, déroutante. Son noir et blanc ascétique est relayé par quelques séquences d'hallucination à l'image déformée (cinémascope non désanamorphosé) en couleur (issues de ses films House of Bamboo et Tigrero). Le jeu des acteurs, épuré voire schématique, est en parfait syncrétisme avec la mise en scène. Seule la courte prestation de Constance Towers en strip-teaseuse manque de crédibilité, unique fausse note à une partition dépouillée mais percutante.
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Modèle du One Flew Over the Cuckoo's Nest de Milos Forman, Shock Corridor est symptomatique, nous l'avons dit, de son temps. Outre l'influence grandissante de la psychanalyse et de la psychiatrie dans les cultures occidentales, le film, sur les écrans en septembre 1963, est la figuration d'une Amérique en crise (de démence), déjà minée par cinq ans de guerre du Viêt-nam, par la peur d'un cataclysme atomique (mise en service du téléphone rouge en août 1963), ses contradictions intérieures, notamment les conflits raciaux (Martin Luther King prononce les paroles historiques : "I Have A Dream" à Washington, en août 1963 également) qui atteindra, provisoirement, son paroxysme en novembre avec l'assassinat de John F Kennedy à Dallas**. Le sens du monde de ce début des années 1960 échappe à ses contemporains. The Birds d'Hitchcock, sorti en mars 1963, en est une métaphore subtile. Shock Corridor ne fait que le confirmer.
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*citation en exergue du film.
**chacune de ces manifestations "pathologiques" est personnifiée dans le film respectivement par les personnages de Stuart, Boden et Trent.

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