"La favela était un purgatoire. C'est devenu l'enfer."
Cidade de deus
est, sans aucun doute, l'un des films les plus étonnants de ces
dernières années. Parce qu'il raconte une histoire largement
authentique, qu'il prend place dans un environnement "exotique",
insolite dans le cinéma actuel et aussi parce qu'il bénéficie d'un
traitement visuel remarquable, expressionnisme virtuose qui peut
déranger certains. Le troisième film de Fernando Meirelles, qui succède au court-métrage Golden Gate (Palace II) qui se passait déjà dans la "Cidade de deus", n'est pas, bien que maladroitement qualifié de "nouveau cinéma brésilien" par la presse, une oeuvre isolée mais s'inscrit dans une filiation avec Deus e o Diabo na Terra do Sol de Glauber Rocha, Os Fuzis de Ruy Guerra ou encore avec le cinéma de Neslon Pereira dos Santos. Le O Homem do Ano de José Henrique Fonseca, présenté à Cognac en avril dernier et au Festival de Cannes (mais encore inédit en salles) le prolonge avec des références communes.
Inspiré de l'ouvrage homonyme de Paulo Lins, Cidade de deus est le nom et le récit (touffu)
de cette favela de la périphérie de Rio de Janeiro. Celle-ci a
accueilli, dans les années 1960, tout ce que la province comptait de
déshérités et sans logis*, devenant rapidement l'un des endroits les
plus dangereux du Brésil. Ce récit, qui démarre sur un événement majeur
dans la vie du narrateur (Buscapé (Fusée) qui est aussi l'auteur), celui qui lui a permit de devenir photo reporter, n'est qu'un immense flash-back, (dé)structuré
en trois épisodes qui sont autant d'inflexions-explications nécessaires
à la compréhension. Nous faisons successivement connaissance avec trois
générations de "hors-la-loi"**, le "Trio ternura (Trio tendresse)" emmené par Cabeleira (Tignasse) dans les années 60, la première partie de l'opposition entre Sandro Cenoura (Carotte) et Zé Pequeno (Petit Zé) (associé au sympathique Bené)
pour la maîtrise des trafics en tous genres dans la cité des années 70
et, enfin, la lutte sans merci, véritable "guerre des gangs", des années
80 menés par les mêmes, le premier recevant le renfort de Mané Galinha qui a un compte à régler avec Zé.
Difficile (voire impossible)
de résumer une "épopée" de trente ans, émaillée de multiples
événements, le tout conduit à un rythme "d'enfer". Le film aurait pu
être simpliste, exercice de style prétentieux. Il est tout le contraire.
Il y a, bien sûr, de la violence mais aussi une tension et des
sentiments aux détours complexes et, surtout, une dimension politique,
sociale et humaine très intéressante et très singulière. Amitié, amour,
haine, revanche et trahison sont au diapason dans une partition
polyphonique très inspirée. Les références au cinéma sont nombreuses :
du Scarface de Brian De Palma à Pulp Fiction de Quentin Tarantino (pour la violence sourde et le coup de feu intempestif notamment). Dans une certaine mesure, l'élève surpasse les maîtres auxquels on peut ajouter Martin Scorsese de Gangs of New York dont le thème générique est proche de celui du film de Meirelles.
Le réalisateur brésilien se distingue sur le plan visuel avec une prise
de vues très nerveuse, alternant les plans maîtrisés et les caméras
portées volontairement brouillonnes. La photographie et les tonalités
sont également travaillées avec un soin particulier. Les années 60
baignent dans des teintes naturelles, à dominante ocre, qui ne sont pas
sans rappeler le western (les nouveaux habitants de la Cité ne sont-ils pas des pionniers ?),
des couleurs plus froides caractérisent les années 70, puis évoluent
vers des ambiances plus sophistiquées pour les années suivantes. La
bande originale donne un rythme supplémentaire, accompagnant
intelligemment les époques, succession de musique traditionnelle, de
rythm 'n blues et de méchant groove.
L'interprétation
est au niveau des ambitions du film. Le casting, majoritairement
constitué d'enfants ou d'adolescents, la plupart amateurs, donne un
dynamisme étourdissant à une trame qui n'en manquait déjà pas. La
variété ethnique du peuple brésilien, bien représentée, accentue encore
le relief de Cidade de deus.
On peut juste regretter la faible participation ou dimension féminine,
mais le "film de gangster" ne les a jamais réellement valorisées (sauf peut-être par l'intermédiaire de la femme fatale du film-noir). Le machisme brésilien n'a fait qu'aggraver les choses !
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*en particulier, les victimes des inondations de 1966.
**la loi est, en fait, figurée par une police plus répressive que protectrice... lorsqu'elle n'est pas corrompue.
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