"Passée la torpeur, il ne reste au chien enragé qu'une ligne droite."
Nora inu est le dixième film d'Akira Kurosawa, sorti un peu moins d'an avant le célèbre Rashômon qui valut à son auteur la reconnaissance internationale. Le réalisateur signe le scénario original avec Ryuzo Kikushima, dont c'est le premier script, qu'il retrouvera pour les trois œuvres qui sont réunies dans le coffret. Ce n'est pas le premier polar de Kurosawa. Nora inu a été précédé, un an auparavant, par le remarquable et méconnu Yoidore tenshi
qui se situait dans le milieu de la petite pègre du Japon
d'après-guerre. Ici, le personnage principal est un jeune policier de la
brigade des homicides, Goro Murakami qui se fait voler son
pistolet dans un autobus bondé, à la sortie d'une séance d'entraînement
au tir. Commence alors une longue enquête qui va s'achever par la traque
d'un jeune délinquant en possession de l'arme en question.
Ce
qui est passionnant dans le traitement par Kurosawa d'une histoire,
somme toute, assez simple, c'est l'épaisseur sociale, culturelle et
psychologique qu'il y apporte. Il décrit, avec un minimum de moyen mais
tant de pertinence, ce Japon économiquement exsangue, dans lequel la
misère est omniprésente et l'espoir de renaissance encore fragile. Il
souligne, sans forcer le trait, la déculturation d'un pays, pourtant si
fier de ses traditions, avec ses femmes qui se vêtent à l'occidentale et
fument des cigarettes, ses spectacles qui ont davantage leur place à
Broadway qu'à Asakusa. Il dépeint la désorientation d'une jeunesse, sa
perte des valeurs, sa critique et son affranchissement d'une génération
qui les a conduit à la honte d'une défaite.
C'est la réconciliation des générations que tente le réalisateur dans son film. Le décès du père de Kurosawa,
l'année précédente, n'est probablement pas étranger à ce choix. Après
avoir mené, seul, son enquête sans obtenir de résultat significatif, Murakami est associé à un détective plus âgé et plus expérimenté, le commissaire Sato.
Le premier est obsédé par sa recherche, par les détails, et les
impressions, le second n'est intéressé que par l'utilité, l'efficacité
et les faits. Le plus jeune est taraudé par sa conscience au risque
d'être neutralisé, rien n'entrave la détermination du plus vieux. Et,
malgré ces différences, les deux vont réussir à collaborer et même à
devenir amis.
L'autre ressort essentiel de Nora inu est le parallèle qui est fait entre le policier Murakami et le délinquant Yusa.
Ils ont le même âge, tous les deux ont été volés au moment de leur
démobilisation : l'un a choisit la loi, l'autre l'illégalité mais cette
symétrie aurait pu être très facilement inversée et, dans une certaine
mesure, Murakami court après lui-même, celui qu'il aurait pu
être. Cette course est "minutée" car la tension dramatique est fondée
sur un compte à rebours : le nombre de balles restant dans le pistolet
qui sont autant de victimes supplémentaires potentielles.
La mise en scène de Kurosawa
est déjà très sure, avec ce mélange de réalisme et de poésie symbolique
qui font son style. Il joue, avec délicatesse et sans ostentation, sur
les gros plans, les cadrages inhabituels, les profondeurs de champs pour
isoler ou, au contraire, réunir les éléments de ses scènes. Ses
compositions privilégient, bien entendu, les personnages. Pour son
troisième film avec Kurosawa (sur les seize qu'ils tourneront ensemble), Toshirô Mifune, moins éblouissant que dans Yoidore tenshi, est tout de même étonnant par la force expressive de son jeu. A ses côtés, Takashi Shimura,
déjà présent dans le précédent film, impose son interprétation
maîtrisée et placide qui contraste avec celle de son partenaire.
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