vendredi 7 novembre 2003

Warui yatsu hodo yoku nemuru (les salauds dorment en paix)


"Je dois attiser ma haine et devenir mauvais."

Certainement le seul véritable film-noir des trois œuvres réunies dans le coffret, même s'il n'en respecte pas toutes les règles. Après avoir adapté la pièce de Maxim Gorky dans Donzoko, Akira Kurosawa s'inspire du drame classique de William Shakespeare, "Hamlet" en situant l'action de Warui yatsu hodo yoku nemuru dans le milieu de l'administration publique et ses relations financières ambiguës avec les entreprises du BTP.
Un appel d'offre non régulier passé par l'Office de Développement des Sols et emporté par l'entreprise publique Dairyu Construction fait l'objet d'une enquête judiciaire. Deux cadres, Miura et Wada, sont arrêtés pendant le mariage de Koichi Nishi, secrétaire du vice-président de Dairyu Const.Iwabuchi, avec Keiko, la fille de ce dernier. On apprend, à cette occasion, que, cinq ans plus tôt, un employé de l'entreprise avait été contraint au suicide et sauté par la fenêtre de son bureau. Libérés au terme d'une garde à vue prolongée pendant laquelle ils ont observé un silence absolu, les deux suspects se suicident à leur tour, par fidélité à leurs entreprise et patrons. C'est au tour de Shirai, responsable des contrats, d'être suspecté de vouloir livrer des informations par ses employeurs. Il est en fait manipulé par Nishi qui, après avoir sauvé Wada du suicide, organise avec soin une vengeance destinée à faire tomber son beau-père. Comme le laisse suggérer le titre du film, il n'atteindra pas complètement son objectif.
Kurosawa est, on le sait, parfaitement à l'aise avec la tragédie et les trames intelligentes et complexes. Il sait donner à une histoire un souffle et une dimension épique. Il y parvient, encore une fois, avec brio dans ce film. La réception de mariage qui ouvre le film, réunissant les représentants d'une société conventionnelle et fallacieuse, plante, à elle seule, le funeste décor. C'est une scène de théâtre, une comédie devant laquelle se sont réunis un public de journalistes qui commentent faits et discours. Et l'intrigue se noue déjà dans ces vingt premières minutes (sur les deux heures trente du film) par une exposition simple mais percutante des situations et le motif de l'action, lorsque apparaît la seconde pièce montée accusatrice.
La mise en scène est d'une grande rigueur et efficacité ; malgré la durée du film, le rythme est soutenu. Les atmosphères oscillent entre le polar, le mystère et l'aventure romanesque (au sens noble du terme), avec, notamment, son personnage infirme, des identités troubles, de brusques apparitions nocturnes et un repère dans des ruines. Curieusement, Kurosawa a voulu donner, dans quelques scènes de la dernière partie de son film, une connotation plus légère, presque de comédie, qui tranche singulièrement avec la tonalité générale et que l'on a du mal à comprendre.
L'interprétation est solide. Toshirô Mifune est parfait en héros tragique, déterminé mais tourmenté. A ses côtés, on retiendra surtout les interprétations de Kô Nishimura et Kamatari Fujiwara, qui s'inscrivent dans la tradition thématique, de la folie pour la première et du faux mort pour la seconde, chère au réalisateur. 

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