"J'ai hâte de commencer une nouvelle vie, une de plus."
Quatre
contes fantastiques qui n'en sont qu'un. Des personnages qui se
croisent dans des vies apparemment distinctes. C'est sous la forme de
récits radiophoniques racontés par Pierre Bellemare que nous prenons
connaissances de ces histoires extraordinaires et surréalistes : Mateo Strano
invite, moyennant finance, un homme à écouter son récit et à s'occuper,
à sa place, des fées qui l'importunent. Le professeur d'anthropologie
négative à la Sorbonne Georges Vickers choisit d'être mendiant pour échapper à sa mère, puis à son épouse. Un mystérieux bienfaiteur aide Cécile et Martin et les confie entre les mains (et la cloche) d'un non moins étrange majordome. Le financier et marchand d'armes Luc Allamand
doit recevoir une épouse, une demi-soeur et une fille qui n'existent
pas. Tous ces personnages, très différents, sont joués par Marcello Mastroianni.
Raoul Ruiz
aime jouer à cache-cache. Il nous plonge ici dans un univers à la fois
kafkaien et buzzatien où le baroque n'est jamais très loin. Bien que se
déroulant à Paris, il existe également des accointances avec la moiteur
étouffante du "Vieux qui lisait des romans d'amour" de Luis Sepulveda dont on aperçoit fugitivement la couverture dans une séquence. Raoul Ruiz
mêle avec délice temps, amour, argent, adultère, peur et crime.
L'absurde y possède, bien entendu, toute sa place. On peut ne pas être
réceptif à cette effervescence (pas seulement celle du champagne)
provocatrice qui semble non contrôlée. Mais si l'on fait l'effort de
laisser se dérouler l'intrigue à son rythme, selon son mode particulier
de traitement (prises de vues peu orthodoxes, mélange de lumières
crues, saturées parfois avec des jeux de couleurs chamarrées, effets
spéciaux une peu kitch), la magie opère et l'on est satisfait comme après la lecture d'un ouvrage de Borgès, la projection d'un film de Buñuel
ou la contemplation d'une toile de Georges Braque ou Juan Gris. Bien
sur, le film possède des faiblesses, comme cette scène pré-finale de
fusillade, les multiples références à l'Union Européenne ou la présence
de la Dombasle, mais elles ne gâchent pas vraiment le plaisir.
Pour son avant-dernier film, Marcello Mastroianni
accomplit un travail formidable. Omniprésent, léger et sombre,
rationnel ou délirant, il porte littéralement le film sur ses épaules et
sa mémoire du cinéma. Il est joliment accompagné par Marisa Paredes dans une interprétation toute de retenue joviale. Smaïn fait une apparition totalement décalée et l'on a la joie de pouvoir apercevoir Roland Topor plongé dans un univers proche du sien. Enfin, la partition musicale de Jorge Arriagada alterne merveilleusement légèreté et sonorités inquiétantes pour contribuer à densifier les ambiances du film.
Sélectionné à Cannes en 1996 (qui a couronné Secrets et mensonges de Mike Leigh), Trois vies & une seule mort
a remporté, la même année, le Prix de la critique du Festival
International du film de Sao Polo. La dérision et le sens de la comédie (au sens noble du terme) seraient-il désormais l'apanage exclusif du Sud ?
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